Pourquoi l'Europe se tait-elle devant la répression honteuse du vote en Catalogne? Pourquoi ce silence embarrassé?

Parce que chaque pays a peur de sa propre dissolution, et que l'Europe elle-même a peur de sa désunion.

Un soir de référendum à Édimbourg, en 2014, j'avais croisé sur la place du Parlement écossais des dizaines de nationalistes venus des quatre coins de l'Europe. Les Catalans étaient les plus visibles et les plus enthousiastes. Il était déjà question d'un référendum sur leur avenir. 

N'oublions pas d'où viennent les «troubles» catalans : après avoir obtenu le statut de «nation» et quelques nouveaux pouvoirs dans un accord politique en 2006, la Catalogne a perdu l'essentiel de son nouveau statut en 2010 dans un jugement de la Cour constitutionnel. Les comparaisons avec le Québec abondent, mais la Catalogne n'a même pas le droit de prélever ses impôts. 

En 2014, donc, la Catalogne se soulevait déjà contre la rigidité juridique de l'Espagne en organisant une consultation symbolique sur son avenir. Seulement 35% des inscrits y ont participé, en novembre 2014. C'étaient évidemment les convertis, et ils ont voté pour la sécession d'avec l'Espagne à 80%.

Mais revenons à ce soir du 18 septembre 2014 en Écosse. Toute l'Europe avait l'oeil fixé sur ce petit royaume.

Et à part les Catalans, il y avait là, bannières tenues bien haut, des Bretons, des Corses, des Basques, des Flamands, des Gallois, j'en passe...

«Tiens, quel est ce drapeau?

 - C'est la Sardaigne, monsieur!»

Il y a des indépendantistes sardes, comme il y a des indépendantistes albanais en Grèce et bavarois en Allemagne. La plupart n'ont pas de poids politique conséquent. Mais ils existent. 

Et cette Europe qui se faisait la guerre d'est en ouest pendant des siècles, cette Europe unie depuis très peu de temps, est elle-même composée de pays multinationaux, unifiés il n'y a pas si longtemps.

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Ni la France, donc, ni l'Italie, ni l'Allemagne (même si Angela Merkel a appelé Madrid hier) n'iront tenir la main des Catalans.

En Belgique, les indépendantistes flamands sympathisent. Ici et là, les oppositions rappellent les valeurs fondamentales de l'Europe. Mais généralement, c'est le silence. Aucun État ne veut réveiller les nationalismes qui somnolent en son sein, aussi folkloriques peuvent-ils nous paraître. Ils préfèrent le silence des nations.

Pas seulement en Europe, évidemment. Ceux qui se gargarisent du droit des «peuples» à disposer d'eux-mêmes devraient lire soigneusement les traités internationaux. Ce droit est contrebalancé très soigneusement par le droit des États à préserver leur unité. Pour être mis en oeuvre, théoriquement, le droit à l'autodétermination suppose une oppression ou une violation des droits de la personne assez extrême. Autrement, les États n'auraient jamais signé ces traités.

Ce qui préoccupe les États européens en ce moment, c'est justement une sorte d'extension de l'autonomie des régions, des nations qui la composent. Déjà qu'elle est soumise à des menaces partout : le Royaume-Uni et son «Brexit», les partis nationalistes qui veulent en sortir...

N'attendons pas, donc, un quelconque sursaut de sympathie pour les Catalans. Il y aura des protestations de façade. Un rappel de principes européens. Mais on en restera là.

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Les États s'accrocheront à la très rigide «règle de droit», et dans presque tous les pays, la sécession est formellement interdite ou simplement non permise. Par définition, une déclaration de souveraineté est une explosion du cadre juridique. Aucun État n'ouvre à l'avance la voie légale à sa dissolution.

Sauf que... On aura beau déplorer et dénoncer les actions violentes et absurdes de la police espagnole, elles n'en seront pas moins efficaces. Le vote catalan d'hier ne peut pas fonder une déclaration unilatérale d'indépendance. Les règles ont été modifiées dans la journée même, les listes n'ont pas pu être tenues à jour, les gens ont pu voter «en ligne» après midi, les gens ont pu voter dans des bureaux de vote où ils n'étaient pas inscrits, des gens n'ont tout simplement pas pu voter, des gens ont pu voter avec des bulletins imprimés à la maison, etc.

On comprend bien que dans des circonstances aussi extrêmes, les Catalans aient fait avec les moyens du bord. Mais si jamais le Parlement régional tente de déclarer la souveraineté sur cette base, l'Union européenne, comme le reste du monde, ne reconnaîtra pas ce nouvel État.

Cette victoire juridique espagnole n'en sera pas moins temporaire, pathétique en fait.

On peut faire taire une nation avec sa police. Mais pour un temps seulement.