Comme tout le monde, j'essaie d'arrêter de le suivre. Mais c'est impossible. Je me dis : ce n'est pas étonnant, c'était annoncé depuis qu'il est devenu candidat. C'est le même homme, si bien décrit dans sa psyché depuis des mois et des années.

Donald Trump ne changera jamais, sans doute.

Mais il y a toujours un nouveau truc. Une touche de plus. Un peu plus bas, un peu plus creux... Jusqu'où ira-t-il?

Il est irrésistible.

Ce qui unit ses admirateurs et ses détracteurs, c'est une fascination commune pour ce non-politicien. C'est le même trait qui séduit et qui répugne : son incompétence politique absolue.

Gagner une élection est une chose. Gouverner en est une autre.

Se retenir de traiter d'idiots tous ceux qu'on trouve idiots est une compétence sociale et politique de base si l'on veut faire voter une loi par le Congrès, par exemple. D'un autre côté, c'est aussi du parler-vrai. Un antidote à la rectitude politique. Heille, lui il les dit, les affaires!

Ce qui passait pour un style, sinon un numéro d'acteur fumant, apparaît aujourd'hui flambant nu : une splendide nullité de gouvernance.

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Mon esprit se refuse à cette évidence, pourtant les preuves sont irréfutables : ce type n'a aucune idée de ce qu'il fait. Ça fait partie de la fascination.

Trump a des flashs, des intérêts, des détestations. Mais pas le moindre semblant d'idéologie un peu structurée.

Avant-hier, il disait que la renégociation du traité de libre-échange avec le Mexique et le Canada allait probablement aboutir à un échec et qu'il n'y aurait tout simplement plus d'accord.

Des analystes se sont dit : c'est une tactique de négociation, sans doute! Il joue au dur et ses négociateurs s'en serviront pour soutirer le maximum. Classique!

Ben voyons donc. Il improvise. Il n'y a pas de plan subtilement élaboré et bien mûri. Il dit ce qui lui passe par la tête. Sur tous les sujets.

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Pour vraiment prendre la mesure de son incompétence, il faut lire le verbatim des entrevues qu'il donne de temps en temps. C'est proprement stupéfiant. Il n'y a pas moyen de comprendre ce qu'il dit. La raison en est très simple : il ne sait pas de quoi il parle.

Voici un extrait d'une entrevue qu'il a donnée à Bloomberg après 100 jours au pouvoir, le 1er mai. La journaliste l'interroge sur la loi censée remplacer l'Obamacare. Elle demande si les gens malades paieront plus cher que les gens en santé pour leur assurance.

Trump : «Je veux que ce soit bon pour les gens malades, Jen. Bon, vous savez, les derniers détails ne sont pas encore réglés.»

La journaliste : «Ne craignez-vous pas qu'un trou dans la loi mette les gens malades dans une mauvaise situation?»

Trump : «Je vais regarder ça... Je vais regarder ça de très près. Mais nous avons, en termes de ce dont vous parlez précisément, ce sera meilleur que l'Obamacare.»

La journaliste insiste. Trump finit par dire : «Vous savez pourquoi l'Obamacare est pire pour les gens déjà malades?»

«Pourquoi?», demande la journaliste.

«Parce que vous n'en aurez plus [d'Obamacare]. C'est fini, c'est parti. [...] Ne faites rien pendant un an et l'Obamacare est en faillite [...] alors il n'y en aura plus.»

Logique, non? Tout programme mauvais est «mieux que rien»...

Mais le président est incapable de donner le moindre détail. Il ne connaît manifestement pas le dossier. Tout ce qu'il dit, c'est que ça coûtera moins cher, permettra de couvrir plus de gens et de donner de meilleurs soins. Comment? On règle les derniers détails...

Comment rallier qui que ce soit quand on ne sait même pas ce qu'on propose?

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Au mois d'août, le Wall Street Journal lui a demandé ce dont il était le plus fier dans ses six premiers mois au pouvoir.

Réponse : son choix de nouveau juge à la Cour suprême et le fait qu'il a réussi à faire confirmer sa nomination. Ensuite, il a parlé de l'ouverture de la réglementation. Du fait que 45 000 personnes sont venues l'écouter la veille en Virginie-Occidentale. Que les terres allaient pouvoir être utilisées pour l'agriculture ou pour construire... Un discours incohérent et franchement bizarre.

Il dit plus loin que les États-Unis sont le pays le plus taxé au monde, il parle du besoin de diminuer les impôts, et de l'évasion fiscale dans les paradis fiscaux, avec des chiffres approximatifs. Il fait allusion à un débat en 2016 où il était question de 2,5 billions, mais «[il] imagine que c'est 5 maintenant».

Il imagine? Il parle avec le Wall Street Journal de son programme fiscal. La question était prévisible. Mais il est incapable de donner le moindre chiffre. «Personne ne connaît les chiffres», dit-il.

On sait qu'il veut diminuer le fardeau fiscal. «Pour stimuler l'économie». On connaît la théorie fiscale néoconservatrice, mais ce n'est pas ce qui m'intéresse ici. C'est qu'il n'a aucune foutue idée de la manière, des sommes, bref du début de la politique à mettre en place.

Il s'étonne ensuite du nombre de personnes qui habitent dans des pays d'Asie. Bon, la Chine, on sait. Mais il y a des pays avec 200, 300 millions de personnes!

Trump : «Vous appelez à des places comme la Malaisie ou l'Indonésie et vous dites, t'sais : combien vous avez de gens? Et c'est vraiment incroyable combien ils peuvent avoir de gens.»

On imagine le président indonésien se faire demander, un peu comme s'il s'informait de la faune locale : coudonc, combien vous avez de gens, vous autres là? 260 millions! Tu me niaises, là...

En ce sens, la synthèse de ces entrevues, la «traduction» en des termes intelligibles, frise la supercherie journalistique. Le verbatim est toujours plus troublant, plus renversant.

Il faudrait une nouvelle branche de la linguistique appliquée à lui tout seul.

La trumpistique?