La semaine dernière, c'était Monic Néron, du 98,5, hier c'était Marie-Maude Denis de Radio-Canada. Si des policiers leur ont donné des informations confidentielles, c'est parce qu'elles ont couché avec eux. Voilà à peu près ce que des enquêteurs de la police de Laval et de la Sûreté du Québec ont affirmé dans une déclaration sous serment pour obtenir un mandat.

Les deux collègues ont dénoncé brillamment le sexisme que sous-tend cette équation. Parfait.

Si on me le permet, j'aimerais insister sur ce qui me semble essentiel ici : le mensonge sous serment pour obtenir un mandat.

Dans les deux cas en effet, l'affirmation n'était pas seulement non pertinente et sexiste. Elle était fausse.

Car voyez-vous, ce qui est écrit dans un mandat de perquisition n'est pas toujours vrai... Il n'est pas mauvais que le public se le fasse dire de temps en temps... et que les journalistes gardent ça en tête pour la prochaine utilisation de ce genre de matériel en apparence très juteux, mais souvent pas fiable pour deux sous.

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Qu'est-ce qu'un mandat? C'est une permission extraordinaire donnée à l'État d'aller fouiller dans votre vie privée. Que ce soit pour perquisitionner chez vous, afin de trouver la preuve d'un crime matériel. Pour faire de l'écoute électronique. Obtenir un relevé téléphonique. Etc.

Des policiers doivent obtenir l'autorisation d'un juge. Pour ça, ils doivent lui démontrer qu'ils ont des motifs de croire qu'en faisant la perquisition ou l'écoute, ils pourront résoudre un crime.

Évidemment, cela se fait à huis clos. On n'avertit pas la personne visée par une écoute qu'on va l'écouter.

Le policier présente un résumé de son enquête. Il fait une déclaration sous serment. Et dans presque tous les cas, le juge autorise le mandat.

C'est une procédure routinière, mais qui déroge aux règles habituelles. Normalement, le juge est placé devant un débat contradictoire où les affirmations sont testées et contredites. Pas dans ce cas-ci.

Le seul vrai contrôle arrivera après coup. Si la perquisition a donné lieu à une accusation, l'accusé pourra lire ce que le policier avait dit. Et s'il y a des mensonges ou des omissions importantes, le mandat pourra être annulé, la perquisition déclarée illégale et la preuve obtenue exclue. C'est ainsi qu'un avocat de Montréal a pu faire tomber une accusation de trafic de drogue déposée contre lui, même si on l'entendait comploter au téléphone. L'enquêteur avait fait des affirmations mensongères au juge quant à sa «source».

Mais si la perquisition n'aboutit à rien, si le relevé téléphonique ne donne lieu à aucune accusation, on ne verra jamais la couleur de ce mandat... À moins qu'il n'y ait, par hasard, une commission d'enquête qui le fasse ressurgir de l'ombre.

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Les cas de perquisitions ou d'écoute déclarées inadmissibles par la cour sont assez nombreux. Bien d'autres cas ne seront jamais recensés, même si la déclaration du policier contenait de nombreux mensonges - ou erreurs. La plupart des accusés s'avouent coupables, en effet, et même si le mandat a été obtenu avec des motifs douteux, ça ne veut pas dire qu'on est innocent.

Je n'essaie pas ici de dire que les policiers en général mentent dans ces déclarations. C'est un crime de le faire et certains ont déjà été accusés précisément pour ça - fabrication de preuve ou parjure.

Simplement, ce qu'écrit un policier dans une déclaration à un juge de paix est une ébauche d'enquête. Il doit en beurrer le plus épais possible pour passer le test des motifs raisonnables. Mais si l'enquête était complète, la preuve parfaite, il n'aurait pas besoin d'un mandat.

Ça tombe sous le sens, n'est-ce pas? À lire certains reportages fondés uniquement sur des déclarations de policiers, cette subtilité nous échappe de temps en temps, je dirais... Oh, bien sûr, la phrase rhétorique sera au rendez-vous : «Ces allégations n'ont pas encore été prouvées en cour.» Mais quand la personne visée n'est pas accusée, que l'enquête n'est pas complète ou que le procureur a décidé de ne pas porter d'accusation, la prudence s'impose.

La prudence s'impose parce que : 

1) les policiers, de bonne foi, se fient parfois à des sources qui ne disent pas la vérité. C'est après avoir fait l'écoute ou fouillé un lieu qu'ils l'apprendront.

2) Les policiers, de bonne foi, font des liens entre des événements dont on apprendra plus tard qu'ils n'étaient pas liés. Le policier Fayçal Djelidi a appelé à la station 98,5. Était-ce pour «couler» de l'info à un journaliste? Euh, non. C'était pour parler à Ron Fournier à Bonsoir les sportifs...

3) Les policiers exagèrent une information pour convaincre le juge.

4) Les policiers interprètent mal une information, une déclaration. A-t-elle vraiment dit ça? A-t-on bien compris ce qu'elle dit? On a vu souvent des paroles équivoques déformées, interprétées tout croche. Ou ils font des hypothèses - comme la théorie farfelue voulant que Patrick Lagacé soit un distributeur de scoops pour la concurrence...

5) Les policiers, eh oui, ça s'est vu, attribuent une déclaration fausse à quelqu'un, soit qu'ils n'ont pas vérifié, soit qu'ils savent qu'elle est fausse mais en ont besoin pour arriver à leurs fins, soit qu'ils mentent carrément.

Je le répète : tout ceci n'est pas pour dire que les policiers sont malhonnêtes en règle générale. Mais ce qui est dit à ce stade très délicat et parfois embryonnaire d'une enquête n'est pas vérifié.

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Le milieu journalistique est en émoi depuis quelque temps avec cette histoire de surveillance policière et maintenant ces déclarations dégradantes touchant Marie-Maude Denis et Monic Néron. C'est un rappel que les règles de vérification ne sont pas superflues. Chaque jour dans nos palais de justice, de purs inconnus goûtent à cette médecine.

Sauf que ce sont en général ce qu'on appelle «des criminels», alors ça nous dérange moins...