Déjà, il y avait un geste de bravoure à convoquer 50 000 personnes à Manchester, hier. Même pas deux semaines après l'attentat djihadiste qui a tué 22 personnes et en a blessé des dizaines d'autres - des enfants et des adolescents souvent - à la sortie du spectacle d'Ariana Grande.

Comme si ça ne suffisait pas, hier matin, tous ces gens qui avaient acheté leur billet se sont levés avec la nouvelle d'un autre attentat, en plein coeur de Londres. Au moins 7 morts, 50 blessés, à coups de machette et de camionnette.

Mais ils étaient là quand même dans le stade à Manchester.

Non, pas «quand même» : ils étaient là à plus forte raison. Et c'était impressionnant.

On a beau dire, ça résonne fort, un lendemain de massacre, 50 000 personnes qui entonnent : «Manchester is strong, we're still singing a song...»

Comme les centaines de milliers qui marchaient, place de la République, après l'attentat de Charlie Hebdo, comme la foule revenue à Boston en 2014, etc.

À côté des réponses politique, policière, militaire, que voulez-vous qu'on fasse d'autre? Occuper l'espace public que le terrorisme veut détruire, même si c'est avec un coeur meurtri.

***

Pendant le concert, on a montré des images de Trafalgar Square, tapissé de fleurs, de mots, d'offrandes. La même scène qui se répète, de Nice à Berlin à Bruxelles...

Est-on déjà «habitué»? Ou simplement prévenu que «ça» peut arriver vraiment n'importe où?

Inutile pour les terroristes de se donner la peine de déjouer des systèmes de sécurité complexes lors de «grands événements» internationaux. Les cibles vulnérables sont partout dans une société ouverte.

Comme on ne peut pas sécuriser tout l'espace public, ce devrait être simplement plus effrayant et ce l'est, évidemment. Mais à force d'encaisser ces horreurs à répétition, un étrange sentiment de permanence, presque de normalité, s'installe. C'est l'état du monde dans lequel on est, et dans lequel on sera pour l'avenir prévisible. On sait qu'il faudra le combattre longtemps, et je ne sais pas si l'on finit par avoir moins peur ou si l'on a peur autrement.

***

Les deux dernières attaques nous ont montré encore qu'il n'y a pas de «loup solitaire». Même les détraqués qui décident soudainement d'aller assassiner au nom d'Allah ne sont pas vraiment seuls. Ils sont encouragés par quelqu'un, quelque part, issu d'une branche de la nébuleuse islamiste.

Les attentats européens depuis deux ans étaient plutôt le fait de réseaux structurés. Une douzaine de personnes ont été arrêtées après l'attentat de Manchester. La famille du terroriste fait partie d'un réseau libyen. Il n'a pas agi seul après avoir trouvé une recette de bombe sur l'internet.

La théorie du loup solitaire consistait à dire : ces terroristes nouveau genre sont pratiquement insaisissables. Ils n'ont pas de complices qui peuvent les trahir, ils n'ont de contact avec personne, ils ne laissent d'indice nulle part...

Ceux de Londres samedi étaient trois. Ceux du soir du Bataclan étaient tout un commando. Ils ont été en contact, ils ont comploté, ils se sont équipés... mais on n'a pas pu les arrêter.

Dans le cas de Manchester, le terroriste avait été dénoncé par sa propre mosquée pour ses propos extrémistes. Plusieurs signes laissaient entrevoir une radicalisation violente.

Les terroristes de Bruxelles aussi étaient en réseau.

Ça fait beaucoup, beaucoup de gens prêts à se suicider. Ça fait beaucoup d'enquêtes, et malgré les arrestations nombreuses, les complots déjoués (deux pendant la campagne présidentielle en France), des attentats qui augmentent en nombre.

***

Al-Qaïda a été combattu, le groupe État islamique lui a succédé. Et même si l'on éradique Daesh, on n'aura pas éliminé le terrorisme islamiste. On n'a qu'à constater l'augmentation du nombre d'actes terroristes depuis cinq ans dans les pays développés. Elle est inversement proportionnelle aux succès militaires annoncés face au groupe État islamique. Pendant ce temps, d'autres mouvements terroristes font des milliers de morts en Irak, en Afghanistan, au Pakistan, au Nigeria...

Il n'y aura donc pas de moment où l'ennemi, d'un seul coup, déposera les armes pour signer un traité de paix. C'est une lutte qui ne fait peut-être que commencer, qui sera longue, compliquée et multiple.

Pendant ce temps, Donald Trump déforme les propos du maire (musulman) de Londres pour faire croire qu'il minimise l'attentat. Et il en profite pour demander aux tribunaux de «nous redonner nos droits» et remettre en vigueur son décret arbitraire bannissant l'entrée de ressortissants de certains pays à majorité musulmane - mais pas l'Arabie saoudite, bien entendu.

Ce serait plus facile de le laisser hurler tout seul dans la nuit sur Twitter, s'il n'était pas le «leader du monde libre»...

Je préfère penser au peuple de Manchester qui est allé occuper la place publique, pour résister en masse à la peur, pour montrer son courage ou s'en donner. Malgré tout.