Au milieu des innombrables motifs de désespérer de l'être humain, il y a quelques preuves que l'humanité progresse. Ou du moins que le progrès est possible.

L'une d'elles s'appelle le bilan routier du Québec.

On comptait 2209 morts sur les routes du Québec en 1973. L'an dernier, avec trois fois plus de véhicules immatriculés et deux fois plus de chauffeurs, on en a dénombré 351.

C'est encore un chiffre absurdement élevé, c'est trois ou quatre fois le nombre d'homicides, dont on parle cinq ou dix fois plus.

N'empêche, c'est tout de même 1858 morts de moins. Seulement depuis 15 ans, on a divisé par deux le nombre de morts sur les routes.

Ce n'est pas un hasard. C'est essentiellement par des mesures de sécurité, qui vont des campagnes de lutte contre l'alcool au volant aux radars photo. Le nombre de blessés graves a aussi chuté pendant cette période.

Au milieu de ces statistiques encourageantes, il y a cependant ce mystère : le nombre de piétons tués augmente. Seulement dans la dernière année, il a fait un bond de 40 %, passant de 45 en 2015 à 63 en 2016. Pour être juste, c'est plutôt 2015 qui a été exceptionnelle, car la moyenne des cinq années précédentes était de 58.

Même le nombre de cyclistes tués sur les routes a diminué. Que se passe-t-il avec les piétons?

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Le ministre Laurent Lessard disait hier que les piétons et automobilistes sont imprudents. À moins d'aller à Rome, en effet, difficile de trouver un peuple marcheur plus indiscipliné que les Québécois en Occident. Et des automobilistes plus incivils. Le piéton québécois ne distingue pas la main orange qui lui dit stop du bonhomme blanc qui lui donne priorité. Et quand il saute dans sa voiture - car souvent le piéton traverse tout croche juste pour sauter dans son char -, il ne sait pas ce que priorité au piéton veut dire et il rage contre la race des marcheurs.

C'est vrai, en Nouvelle-Angleterre comme dans les autres provinces canadiennes, les passages pour piétons ne sont pas considérés comme un vague décor, un graffiti de cols bleus. Ils veulent dire quelque chose. Dans les villes et les villages à l'extérieur du Québec, l'automobiliste s'immobilise en général quand il voit un orteil pointer vers la rue. Rares sont les marcheurs urbains qui, comme au Québec, se disputent le championnat international de la traverse sur feu rouge ou du slalom entre voitures.

Mais ces traits sociologiques évidents sont-ils vraiment en cause?

À Toronto, on observe le même genre d'hécatombe de piétons. Aux États-Unis, pas plus tard que la semaine dernière, un rapport faisait état d'une augmentation alarmante du nombre de décès de piétons. Plus de 6000 dans le pays, une hausse de 11%...

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Les analystes américains mettent le doigt sur un facteur nouveau : les téléphones cellulaires. Ceux des automobilistes. Ceux des piétons aussi.

Car en plus d'être un acrobate attiré comme un zombie par les feux rouges, le piéton québécois est comme tous les piétons de notre époque : il a la tête penchée sur son écran.

Il est en train de regarder une vidéo d'écrasement d'avion, mais si un 747 s'écrasait à deux mètres de lui, il ne le verrait pas. Espérons que quelqu'un aura filmé la scène, il n'a rien vu.

Bientôt, il n'y aura plus de témoins dans nos rues, mesdames et messieurs. Nous avancerons tous tête baissée vers un destin glorieux, sans savoir ce qui se passe autour, mais branché sur ce qui se passe à Singapour.

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Encore là, l'explication est séduisante et contient une part de vérité. Mais le bilan nous dit que l'augmentation énorme du nombre de victimes est principalement attribuable aux personnes de 75 ans et plus.

Si je me fie à ma mère et ses amies, ce n'est pas le public le plus accro aux cellulaires, mais j'avoue, je n'ai pas d'étude à l'appui de cette affirmation anecdotique.

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Si ce n'est pas principalement l'indiscipline générale ou la distraction nouvelle des piétons, qu'est-ce donc qui explique ce bond?

C'est un peu tout ça. Et les facteurs classiques : vitesse excessive (à 30 km/h, les risques de mortalité sont de 10%, à 60 km/h, ils sont de 80%). Imprudence. Mauvais éclairage. Alcool. On a parlé de l'alcool au volant... il y a aussi l'alcool sur le trottoir. Une étude américaine laissait entendre que le tiers des piétons victimes étaient en état d'ébriété légal.

Bref, comme pour les accidents de la route en général, les causes sont multiples. Mais comme pour les accidents en général, on n'est pas condamné à voir augmenter le nombre de morts.

Des campagnes de publicité, des passages pour piétons mieux adaptés et, encore et toujours, des limites de vitesse plus strictes vont sauver des vies.