La pièce s'appelle Attentat et elle s'ouvre sur des extraits de la radio de Québec. Des auditeurs qui déversent leur haine et leurs préjugés envers «les musulmans», tandis que l'animateur approuve ou laisse aller complaisamment.

C'était déjà dérangeant quand la pièce a été créée au Théâtre de Quat'Sous de Montréal, en 2014. C'est glaçant quand c'est joué par hasard à Québec, deux jours après un attentat dans une mosquée où six hommes ont perdu la vie et où plusieurs ont failli la perdre.

La pièce s'appelle , mais il n'est pas question de terrorisme ni de coups de feu. C'est un attentat poétique, pour ainsi dire. Une riposte langagière à l'époque à travers un collage de textes de Miron, Godin, Roland Giguère, Aquin, Jean-Paul Daoust, mais aussi des poètes des générations suivantes, Evelyne de la Chenelière, Geneviève Desrosiers, Catherine Lalonde... Une esthétique néo-trad, un discours campé entre résistance, désillusion et révolte face aux valeurs dominantes, au matérialisme, à l'insignifiance des médias, etc.

Ça n'avait donc rien à voir au départ avec une tuerie. Mais tout d'un coup, ça avait un peu trop à voir avec ce qui se passe à Québec -et partout.

Parce qu'à la fin, au-delà du discours politique, c'est une pièce sur le poids des mots. Leur détournement. Leur abus. Leur force consolatrice, aussi. Les mots comme arme. Mais également comme «arme de reconstruction massive» (Jocelyn Pelletier).

Ça avait tellement trop à voir que les metteures en scène Gabrielle et Véronique Côté ont ouvert gratuitement les portes de leur théâtre, mardi soir, comme on ouvre un refuge. J'y suis allé. Par grands bouts, j'avais l'impression troublante qu'ils l'avaient écrite exprès pour nous, cette semaine...

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Les mots... La parole publique... Le malaise autour de certaines radios de Québec est extraordinaire. Certains animateurs, pour qui l'islamophobie, hier encore, n'était qu'une fabrication de médias complaisants, sont sur la défensive. Tentent de convaincre leur auditoire en se tortillant qu'ils ont toujours su faire les nuances entre les radicaux islamistes et les musulmans en général, « dont la grande majorité sont pacifiques », selon le cliché de circonstance -cliché qu'ils raillaient, bien sûr. S'ils le disent, c'est sûrement vrai... Mais ça sonne drôle.

D'autres, impressionnants d'humilité, ont carrément admis leurs torts. Leur ignorance. Leurs préjugés. Wow.

D'autres, enfin, sont égaux à eux-mêmes. André Arthur, ce concentré d'ordure radiophonique, est toujours devant un micro après mille congédiements et autant de poursuites en diffamation. Mardi, il a ressorti le dossier d'inspection pour insalubrité de l'épicerie d'un des six hommes assassinés pour en lire des extraits en ondes. Mais ce n'est pas de la haine, ça, hein ? C'est seulement rétablir la vérité !

Déjà, il y a 40 ans, René Lévesque parlait d'André Arthur comme d'un «termite social». Il creuse toujours.

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Le débat sur le lien direct entre le discours radiophonique et ces assassinats est vain. On ne trouvera pas de lien de cause à effet entre une parole et ces crimes.

Hier, quand j'ai écrit que l'interrogatoire de police du prévenu n'avait pas fait ressortir l'importance des radios de Québec comme source d'inspiration, certains se sont réjouis: bon, vous voyez, on n'a rien à voir là-dedans!

D'autres étaient choqués de voir qu'il avait fait référence à la montée de Trump: c'est de l'amalgame! Vous êtes en train de dire que c'est la faute des Américains.

Mais non, mais non.

Il n'y a pas non plus de syllogisme irréfutable qui mène des discours xénophobes de Trump à une tuerie dans une mosquée de Sainte-Foy. Même si le prévenu en a parlé.

Ce qui, dans le cerveau de cet individu, a mené à la peur, à la haine et ensuite au crime, on ne le sait pas encore.

Des choses bien plus horribles se disent jour après jour à la trash radio américaine, sur internet, etc. Des dizaines de millions d'Américains ont été exposés aux discours de Trump, et à bien pire. Il n'y a pourtant jamais eu de tuerie contre un groupe de musulmans aux États-Unis.

Tenter de faire un procès pour complicité de meurtre à cette radio, ça ne mène nulle part.

Ça n'enlève pas le fait que tous ceux qui prennent la parole publiquement au nom de la «liberté» ont une responsabilité.

La responsabilité d'être justes. De combattre les préjugés. De condamner les xénophobes, pas de les renforcer. La responsabilité de savoir de quoi on parle et d'essayer de le faire comprendre. De ne pas envenimer les rapports sociaux pour faire un bon show de hurlements. Une responsabilité permanente, une haute responsabilité. Pas parce qu'il y a eu une tuerie. Parce que le métier d'informer n'a pas de sens s'il n'est pas humaniste.

Ça ne vaut pas seulement pour les radios et pour Québec. Il y a des leçons de Bouchard-Taylor qui n'ont pas été apprises.

Pas mauvais, pour chacun de nous, de revisiter nos anciens mots, de les regarder en face de temps en temps.

J'ai noté ce vers de François Guérrette, à la fin d'Attentat : «Transformer le bruit en parole et la parole en lumière».

Ça fait rêver, comme projet.

PHOTO ERICK LABBÉ, LE SOLEIL

Présentée à Québec depuis le 24 janvier, la pièce Attentat est un collage de textes poétiques d'une trentaine d'auteurs, dont Gaston Miron, Hubert Aquin et Roland Giguère.

PHOTO ERICK LABBÉ, LE SOLEIL

Présentée à Québec depuis le 24 janvier, la pièce Attentat est un collage de textes poétiques d'une trentaine d'auteurs, dont Gaston Miron, Hubert Aquin et Roland Giguère.