Faut-il abolir les initiations dans les universités ? La ministre de la Condition féminine se le demande gravement, depuis que La Presse a repris un texte publié dans le journal étudiant de la faculté de droit de l'Université de Montréal.

Un texte où des étudiants s'interrogent : ne perpétuent-ils pas la « culture du viol » et la « banalisation de la sexualité » en entonnant des chants grivois « dégradants » ?

« Tout cela est mal, même si nous rions, même si nous chantons à tue-tête. » Les auteurs pénitents prennent soin toutefois de féliciter les organisateurs de l'initiation 2016 pour les multiples précautions prises à éviter les débordements. Ils « n'accusent personne ». Ils veulent toutefois déclencher une « prise de conscience ».

Que s'est-il donc passé de terrible cette année ? Difficile de mettre le doigt dessus.

Le texte cite une étudiante de deuxième année selon qui, l'an dernier, des étudiantes sentaient une pression pour enlever leur t-shirt et « se promener en brassière ». Il y a en effet une compétition entre les cinq « sections » de la faculté et des juges attribuent des points pour la participation. L'étudiante anonyme admet que ce n'est pas comme ce qu'on a rapporté de l'Université du Québec en Outaouais : aucun jeu ne supposait qu'on se dévête. Mais on se sentait « presque obligée » de se dévêtir.

Une autre anonyme citée, de première année, n'a que de bons mots pour l'organisation et dit que personne ne l'a obligée à faire quoi que ce soit.

Peu importe : l'histoire, accompagnée d'une photo de party (de l'an dernier) où des filles sont en soutien-gorge, a suffi à alerter tout le monde universitaire et le gouvernement, qui a exprimé une indignation unanime.

Je précise que je suis un ancien de cette faculté, que j'avais plutôt tendance à fuir ce genre d'activité et qu'on a tout à fait raison de dénoncer la nullité des beuveries initiatiques et le sexisme universitaire ou autre. Parfait.

Mais encore faut-il s'en prendre aux bonnes cibles.

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Il suffit de parler à quelques témoins pour s'en rendre compte : cette initiation est très mal choisie pour illustrer la « culture du viol ». Quand on regarde le soin mis à éviter les dérapages, ça ressemble plus à la culture des CPE, mes petits amis.

Partons avec une évidence statistique : depuis une génération, les femmes forment 60 à 65 % du contingent étudiant. Ça se reflète dans l'association étudiante. Et sachez qu'un comité féministe discute des enjeux en permanence.

À la soirée d'accueil des 385 nouveaux étudiants, l'association a consacré son plus long discours à une mise en garde où l'importance du consentement était répétée, répétée... consentement à participer aux jeux, consentement à boire de l'alcool, consentement en cas de rapports sexuels, évidemment. La campagne de tout le campus, « Sans oui, c'est non », a été martelée.

Tous les organisateurs ont suivi une formation pour les préparer à gérer l'événement. Rien n'est laissé au hasard !

Aucun jeu n'impliquait des connotations sexuelles, on pouvait remplacer l'alcool par de l'eau. Quels jeux, au fait ? Un rallye sur le campus pour découvrir l'université. Et beaucoup de jeux de « camps de jour » tout à fait innocents.

À la fin de la semaine, des autobus emmenaient les étudiants dans un camping à Saint-Pie. Chacun avait droit à cinq bières. L'alcool fort était confisqué par les services de sécurité (on écrivait le nom du propriétaire et on lui redonnait le flasque au retour).

Eh oui, il y avait une piscine, et des gens en maillot de bain autour...

Mais sachez qu'on a banni des chansons jugées offensantes.

Vérification faite auprès de la faculté et de l'association étudiante, pas la moindre plainte n'a été déposée. Ce qui ne signifie pas que « rien » ne soit arrivé. Mais on cherche le scandale. On est davantage dans un environnement hyper vigilant, hyper conscient et hyper surveillé.

Sauf qu'à notre époque, il faut garantir le risque zéro.

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Maintenant, soyons platement concrets. Vous avez 300 personnes de 20 ans un soir de fin d'été avec de l'alcool dans le corps. Même si les règlements et les bonnes moeurs les condamnent, est-ce qu'une gang de nonos a pu pousser une « toune » immorale ? Terrrriblement sexiste ? Qui implique des parties du corps ?

Statistiquement, c'est couru.

À plus de quatre, on est une bande de cons, disait Brassens. Même tout seul, des fois, c'est pas fort, alors imaginez au pluriel.

Je ne banalise rien, rassurez-vous, j'aurais peut-être été dans le comité féministe, va savoir.

Mais comme m'a dit une étudiante impliquée dans l'organisation : « On ne prétend pas que les rites d'initiation sont parfaits, on trouve très bienvenue la réflexion, mais quand les médias et les politiques présentent ça sans nuance sur la place publique, on ne peut même pas intervenir, c'est impossible de gagner ce débat-là. On aurait l'air de dire : c'est pas grave. Et puis, on sait jamais ce qui a pu arriver sans qu'on le sache. Sauf qu'on prend ça très au sérieux ! On fait tout pour encadrer les initiations, que les gens aient du fun, dans le respect. Et à ce qu'on sache, ça fonctionne !

« C'est franchement hypocrite pour des gens au pouvoir de venir se scandaliser sans même savoir ce qui se passe. Ils ont fait quoi, eux, pour changer les choses dans leur temps ? Ben, nous, on a travaillé fort pour la combattre, la culture sexiste, la culture du viol. On en est fiers. »

Et elles n'arrêteront pas de faire la fête parce qu'une ministre qui avait oublié d'être féministe l'an dernier fait semblant de s'indigner.