Voici où nous en sommes rendus, mesdames et messieurs. Quand une championne de qui on attend un record du monde faiblit, quand elle montre une humanité plus approchable pour le commun des spectateurs, on est presque soulagé. Rassuré sur ses autres performances.

Au fond, c'est peut-être vrai qu'elle courait à l'eau claire et avec le soutien de Jésus, l'autre jour...

Almaz Ayana n'a pas refait le coup de la semaine dernière, mais elle a bien essayé : partir seule au milieu de la course, casser toutes ses poursuivantes, arriver toute seule loin devant.

Ça avait tellement fonctionné au 10 000 m qu'elle avait fait exploser le très vieux et très douteux record du monde. La suspicion a été immédiate. Elle n'était pas passée à l'antidopage qu'une concurrente suédoise mettait en doute sa performance. Je ne me dope qu'à l'entraînement et à Jésus, avait répliqué la coureuse de 24 ans.

Vendredi au 5000 m, l'Éthiopienne était attendue au sommet du podium, bien plus qu'au 10 000 m, en fait : elle est championne du monde sur la distance et a dominé la compétition avec le deuxième temps jamais enregistré, le printemps dernier.

Elle aussi s'y attendait : après 1800 m, elle s'est détachée. Elle a pris 30, puis 40 m d'avance et semblait se diriger vers l'or sans trop forcer. Mais elle ne parvenait pas à casser les Kényanes. L'écart restait le même. Puis, elle s'est mise à ralentir.

Oh... les Kényanes reviennent. À 4300 m, Vivian Cheruiyot est venue la cueillir... puis Hellen Obiri. Et c'est à grand-peine qu'Ayana s'est accrochée à la troisième place.

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Pour Cheruiyot, à ses quatrièmes Jeux, c'était la fin d'une longue série de déceptions. Championne souvent en championnats, elle se faisait toujours soufflé l'or par une Éthiopienne. Encore vendredi dernier : elle court le meilleur chrono de sa vie, bat sa rivale Tirunesh Dibaba... mais finit derrière Ayana. De quoi vous démoraliser.

« Je suis tellement contente. J'ai toujours cru que personne n'est imbattable. »

Les deux Kényanes savaient qu'Ayana partirait devant ; elles se relaieraient pour aller la chercher. La stratégie a fonctionné. Cheruiyot récrit le record olympique en passant (14 min 26,77 s). Obiri était trois secondes derrière, Ayana, sept et demie.

Ayana ne s'est pas présentée à la conférence de presse, à laquelle tous les médaillés doivent se soumettre. « Elle a dû recourir aux services médicaux », a expliqué l'organisation.

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Le Kenya a vécu la pire année de son athlétisme. Réputation ternie, en termes de performance et d'organisation. Corruption au plus haut niveau, dopage, menace de suspension...

Et pourtant, avec ces deux nouvelles médailles dans une semaine faste, le pays battra probablement son record de médailles d'or des Jeux de Pékin, sinon son record tout court.

En 2008, le Kenya avait remporté 14 médailles, dont cinq d'or. Il en a 10 jusqu'ici à Rio : cinq d'or, cinq d'argent. C'est déjà mieux que Londres (2 or, 4 argent, 5 bronze).

Ce soir, la victoire d'Asbel Kiprop au 1500 m est presque assurée ; le pays a ce qu'il faut pour gagner le marathon ; il a des chances au 5000 m...

Songez que les Jeux ont commencé par l'arrestation du responsable de l'équipe d'athlétisme, renvoyé chez lui pour soupçons de corruption.

L'équipe va rapporter de meilleures nouvelles au pays, pour une fois... Pour quelque temps.

Lui aussi ont le goût d'y croire.