Reid Coolsaet m'attend au village des athlètes avec une casquette rouge et un bracelet aux couleurs du Kenya.

Le meilleur marathonien canadien de sa génération est classé 23e dans la liste de départ, dimanche, pour la dernière épreuve des Jeux de Rio. Il a beau courir pour son pays, il n'a pas de problème à dire son admiration pour les coureurs de ce pays, où il va s'entraîner chaque hiver depuis sept ans.

« Ces gars-là sont les Sidney Crosby de la course à pied. Je suis 23e sur la liste de départ, mais c'est parce que chaque pays a droit à trois coureurs. Le Canada en a qualifié deux [Eric Gillis, son ami, est le deuxième]. Mais à peu près 80 Kényans ont enregistré de meilleurs temps que moi en 2015 ! »

J'ai dit le meilleur de sa génération ? Parlons de deux générations. Parce qu'avant, il y a eu ce monument, intimidant : Jerome Drayton. Coolsaet, 37 ans, de Hamilton, est encore à la poursuite du plus vieux record de l'athlétisme canadien : les 2 h 10 min 9 s que Drayton a enregistrées à Fukuoka, en décembre 1975.

Une première fois, à Toronto en 2011, Coolsaet avait aperçu cet horizon... Il a fait 2 h 10 min 55 s.

À Berlin, en septembre 2015, cette fois il y touchait, il avait l'allure parfaite... Et il l'a raté de 19 secondes : 2 h 10 min 28 s.

Le voici à Rio, à ses deuxièmes JO. Ce n'est ni le lieu (beaucoup trop chaud) ni le moment (un marathon olympique est surtout tactique) pour penser à ça.

À quoi penser, alors ?

« Mon but ultime, ce serait un top 10, ça c'est A+. Mon but, c'est un top 15. Un top 20 serait bien. Battre mon rang [23e] serait agréable. Faire mieux qu'à Londres [27e], pas si mal. »

Comme vous voyez, le coureur a plusieurs options.

« On ne sait jamais comment un marathon peut se dérouler et il faut trouver une motivation tout le long, donc être capable de changer d'objectif à mesure que la course progresse. »

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« Mutai », dit son bracelet. L'homme en train de tisser le bracelet dans la rue lui a dit : « Ça veut dire : celui qui est né tôt. » Et Reid est né le matin.

Mais Mutai, Geoffrey de son prénom, c'est aussi un des meilleurs marathoniens de l'histoire. Le bracelet lui était destiné. Bah, il en fera un autre.

« La différence principale, c'est qu'au Kenya, on recrute tous les enfants pour faire de la course. C'est une façon de gagner sa vie. Chez nous, les enfants peuvent jouer au hockey, au football, etc. L'autre raison, c'est leur éthique de travail. Ils s'entraînent extrêmement fort. »

Évidemment, il y a l'autre raison, dont on ne cesse de parler depuis des mois, et qui recouvre l'athlétisme à Rio d'un voile de scepticisme.

« Quand j'étais là, on se faisait avertir 12 heures à l'avance d'un contrôle antidopage. C'est amplement assez pour se nettoyer le sang et faire disparaître les indices trop évidents de prise d'EPO. »

- Reid Coolsaet, marathonien

« Au Canada, on doit déclarer nos déplacements, et pendant au moins une heure par jour, être à un endroit précis. J'ai été testé deux fois en juillet. Ils n'avertissent pas, ils cognent à 8 h le matin - pas pendant la plage d'une heure où l'on annonce sa position. »

Il me montre l'application de géolocalisation sur son téléphone portable, créée spécifiquement pour les contrôles antidrogue.

« C'est un peu décourageant qu'on parle presque plus de ça que des performances, mais moi-même j'y contribue : chaque fois que quelqu'un se fait prendre, je tweete ça, je dénonce ça... »

Il n'a assisté à rien, bien sûr, ça ne se fait pas au grand jour. « Mais plein de gars sont propres et veulent que ça cesse. Je n'y pense jamais quand je cours, et quand j'y pense, ça me motive ! Une fois, à Hamilton [Around the Bay, une course de 30 km plus ancienne que Boston], quand j'ai vu un gars qui venait de courir un 10 km la veille et qui avait changé de nom après s'être fait prendre pour dopage, je suis allé le dépasser, j'ai fait une de mes meilleures courses à vie. »

Athlétisme Canada remet en question ses camps d'entraînement en altitude au Kenya, avec tous les scandales qui éclatent. « C'est sûr que je ne veux pas être associé à ça, mais en même temps, je fais mes affaires, j'y vais sur une base personnelle. L'Éthiopie (dont on parle moins), c'est pire ! Ça se peut tout de même que je n'y aille pas l'hiver prochain... mais parce que je vais avoir un bébé en octobre. »

Et après ce marathon, si tout va bien, s'il n'est pas blessé... profitant de sa forme de fin de saison... il n'est pas dit qu'il n'ira pas faire un tour sur un terrain plat, bien frais, à Fukuoka, tiens, pourquoi pas, en décembre, pour attaquer encore un coup le monument Drayton... C'est là, tout près, une question de secondes dans une course de 2 h 10 min, presque rien... Et pourtant inatteignable jusqu'ici.

UNE SÉLECTION POLITIQUE

Le choix de l'équipe kényane de marathon, vu sa profondeur, est toujours controversé. Et comme il n'y a pas assez de place pour tout le talent, plusieurs s'expatrient dans quelque Bahreïn.

Le recordman Dennis Kimetto, le seul à avoir couru sous les 2 h 3 min (2 h 2 min 57 s pour être précis), n'y sera pas pour cause de méforme, dit-on. Mais les remplaçants sont de qualité : Eliud Kipchoge, au deuxième rang des meilleurs temps jamais enregistrés (2 h 3 min 4 s, à Londres ce printemps) ; Stanley Biwott, qui a pointé derrière Kipchoge à Londres en 2 h 3 min 51 s.

Le choix de Wesley Korir, par contre, est jugé hautement politique. Certes, il a gagné Boston en 2012. Mais avec un record personnel de 2 h 6 min 13 s, qui date, plusieurs le dépassent. Sauf que sa nomination est un message politique au monde olympique : Korir est aussi député au Kenya, et c'est lui qui a défendu la loi antidopage très sévère, qui prévoit des peines d'emprisonnement.

Ce sympathique et courageux coureur-parlementaire est moins un espoir de médaille qu'un pare-feu contre les sanctions...