Une sorte de malédiction a pris fin dimanche, mais une deuxième l'a obscurcie. Commençons par la première : une Kényane a enfin remporté l'or au marathon olympique. Entre les marathons, elles dominent. Mais aux Jeux, c'était toujours deuxième, troisième, derrière les Éthiopiennes.

Jemima Sumgong part avec l'or de Rio.

Sauf que... Sumgong est associée à de drôles de gens. D'abord, sa grande partenaire d'entraînement, Rita Jeptoo, triple gagnante de Boston, double gagnante de Chicago, est sous le coup d'une suspension pour dopage depuis l'automne dernier. Pas de chance, son agent, l'Italien Federico Rosa, qui était aussi l'agent de Jeptoo, a été détenu cet été au Kenya pour complicité de dopage. Le Kenya, qui a vu 40 athlètes suspendus depuis quatre ans, a adopté une loi qui prévoit maintenant des peines de prison. Il fallait des mesures musclées avant Rio, au risque de se faire traiter en véritables Russes... C'est passé très près.

La médaillée, très calmement, a répété au moins huit fois qu'elle est « propre ». Je suis propre. Je suis très propre. Moi ? Ouf, propre, vous avez pas idée. Propre, mais propre, propre, propre. Vraiment. Pour vrai. Propre.

Bon, ça va, le message est clair.

Plus étrange encore dans cette course, l'énigmatique Volha Mazuronak. Cette ancienne marcheuse biélorusse qui n'a jamais atteint les sommets dans le domaine est passée à la course il y a quelques années. Au marathon de Londres, ce printemps, elle a terminé quatrième avec un impressionnant chrono de 2 h 23 min 54 s. Une progression de dix minutes en trois ans, c'est possible. Les analystes remarquent toutefois que sur la deuxième portion du marathon de Londres, elle a amélioré sa propre marque du demi... de deux minutes.

Bref, Biélo je ne sais pas, mais Russe, on dirait, oui.

Et Volha était dans le peloton de tête jusqu'au 40e kilomètre avec les Africaines. Parfois en tête... Elles ont fini par la distancer. (Il y avait aussi l'Américaine Shalane Flanagan, qui a terminé dans une superbe sixième place.)

À la fin, la logique a été respectée. Les Africaines ont accéléré, la Biélorusse n'a pas pu suivre. Sumgong a été suivie d'une autre Kényane naturalisée à Bahreïn, puis de l'Éthiopienne championne du monde, Mare Dibaba, en bronze.

J'ai parlé de malédiction. Disons que c'est une immense ombre qui plane sur l'athlétisme, qui l'infecte et qui ternit les médailles, même si elles sont propres.

Sauf que... va donc savoir lesquelles sont propres, propres, propres, lesquelles sont juste propres.

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Depuis plusieurs mois, les médias nous ont présenté les trois blondes triplettes estoniennes, toutes qualifiées pour le marathon de dimanche. L'histoire est charmante et tout à fait inédite. Mais sachez que si elles avaient été Canadiennes, elles n'auraient même pas été près de se qualifier pour les JO. La norme de qualification du marathon féminin est de 2 h 45 min ; mais dans toutes les disciplines, le Canada adopte une norme « A », beaucoup plus exigeante : 2 h 29 min 50 s. Bref, Lily Luik a fini 97e en 2 h 48 min, Leila 114e en 2 h 54 min, et Lina n'a pas terminé.

Il y avait aussi deux jumelles nord-coréennes, beaucoup plus fortes celle-là, Kum-Ok Kim et sa soeur Hye-Gyong, 10e et 11e, avec un temps identique de 2 h 28 min 36 s. Je les ai croisées après la course, pas jasantes tellement. Impossible de savoir laquelle a terminé 11e.

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Ça faisait drôle de parler avec une Lanni Marchant tout sourire pendant que des marathoniennes inconscientes passaient derrière sur des civières.

Pour une fille qui avait couru le 10 000 m deux jours avant, la championne canadienne avait plutôt bonne mine. Elle a remonté d'une vingtaine de positions sur la deuxième moitié, même si elle a manqué de gaz à la fin, pour terminer 24e en 2 h 33 min 8 s.

En plus des quatre qui tiennent son dossard, Lanni Marchant avait accroché une cinquième épingle à couche. « Au championnat du monde, j'ai eu des crampes, alors je me suis piquée avec une des épingles. »

N'essayez pas ça à la maison sans consulter un professionnel de la santé et suivez toujours les indications du manufacturier d'épingles. Elle n'en a pas eu besoin.

La dernière fois que j'avais vue Krista DuChene, l'autre Canadienne inscrite, elle était dans un lit d'hôpital et on venait de lui visser du métal dans le fémur gauche. C'était en 2014, au championnat canadien de demi-marathon à Montréal. Elle avait fini en boitant, après que son os a craqué sous une fracture de stress. Onze mois plus tard, elle se qualifiait pour Rio.

Dimanche, elle nous a montré fièrement sa cicatrice après la course.

À 39 ans, Krista DuChene est la plus vieille de l'équipe d'athlétisme. On s'émerveille du fait qu'elle est mère de trois enfants. Un défi d'horaire, sans doute, mais n'en mettez pas trop.

« Je ne voulais surtout pas être cette vieille maman de trois enfants à qui on dit : Oh ! Vous faites le marathon aux Jeux olympiques ! Je voulais faire une belle course. » Une 35e place en 2 h 35 min 49 s, c'était tout à fait bien.

Marchant et DuChene n'avaient pas d'espoir de médaille. Elle est loin, l'époque de Jacqueline Gareau, sérieuse prétendante au titre mais privée de Jeux en 1980 à cause du boycottage canadien, et forcée à l'abandon à Los Angeles en 1984.

Les deux femmes sont les seules Canadiennes qualifiées pour les JO depuis 20 ans - avec la norme « A », de 2 h 29 min 50 s.

« J'espère que ça va inspirer d'autres filles », a dit DuChene.

« On dit souvent qu'il faut croire en ses rêves, mais on peut changer de rêve, dit Marchant. Moi, j'ai voulu être patineuse artistique, je ne l'ai pas été. Aux filles, je dis : ne laissez pas les autres décider pour vous. On me déconseillait de faire les deux courses, mais c'est mon corps, mon choix ! »