À Londres, après son deuxième triplé olympique, Usain Bolt se promenait en disant « je suis une légende ». Il est quoi, là ?

« Quelqu'un, l'autre jour, a utilisé le mot "immortel". Ça me plaît bien. On va y aller avec ça », a-t-il dit.

À côté de lui, Andre De Grasse le regardait sans y croire, amusé. Il le trouve comique, mais comique !

« À 13 ans, je le voyais à Pékin, je ne faisais même pas d'athlétisme, et là, je suis à côté, je suis associé à ce moment historique... »

Le premier médaillé canadien au sprint individuel depuis Donovan Bailey en 1996 savourait le moment, devant une salle de conférence qui débordait.

Voir ces deux-là côte à côte est assez surréaliste. Bolt, costaud, 6'5, et De Grasse, tout frêle, 5'9... Bolt qui faisait déjà sensation à 15 ans, qui écrasait tout sur son passage chez les juniors. De Grasse qui jouait au basket et qui s'est fait pousser à l'athlétisme à 17 ans par un coach qui avait repéré sa vitesse. Bolt qui fait le clown, qui amuse la foule. De Grasse qui observe cet énergumène, incrédule et admiratif.

« Il court comme moi ! », a dit Bolt en parlant du Canadien. Vraiment ? Bon, s'il le dit... « Sauf pour les bras », a répliqué De Grasse sur Twitter. C'est vrai, on dirait qu'il court plus avec ses bras qu'avec ses jambes.

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Et entre ces deux-là, il y avait le mal aimé, l'Américain Justin Gatlin (9:89 s). Il avait purgé sa suspension pour dopage depuis deux ans déjà quand il est revenu gagner le bronze à Londres, il y a quatre ans. Mais on ne parlait de dopage que du bout des lèvres, et il est passé sous le radar dans la foule anglaise.

Dimanche, la foule du stade olympique de Rio l'a hué, et deux fois plutôt qu'une, sur la ligne de départ.

« Je suis revenu à la compétition il y a six ans, alors pour moi, c'est de l'histoire ancienne, tout ça. Les gens ne me connaissent même pas. J'espérerais plus de respect. Moi, je donne de l'amour à Usain, à Andre, à Yohan [Blake, quatrième]. Les gens veulent voir une rivalité entre Usain et moi, on est simplement compétitifs. »

Bolt a dit qu'il n'avait jamais entendu une chose pareille. « Je ne m'attendais pas du tout à ça. Je suis sous le choc. »

La presse joue le scénario du bon contre le vilain depuis un certain temps déjà. D'autant que, catastrophe, le vétéran avait (et a encore, à 9:80) le meilleur temps de la saison 2016. Pas vrai qu'un ex-dopé va détrôner le dieu du stade ?

Au-delà de la mise en scène médiatique, 2016 marque l'année où un pays entier a été banni de l'athlétisme. Bien des Russes auraient aimé avoir la deuxième chance de Gatlin. Ces huées, elles montrent un seuil de tolérance - et de naïveté - qui a chuté considérablement dans le public.

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À peine sorti du stade, Andre De Grasse n'avait pas eu le temps d'analyser ce qui venait de se passer.

« Je ne l'ai pas revue encore, mais ça m'a semblé une course décente. J'ai fait mon record personnel (9:91). J'ai essayé d'aller avec Bolt [9:81], ce n'était pas possible, j'ai vu que j'avais une chance pour l'argent, je me suis étiré, ça n'a pas fonctionné. Dommage, mais une médaille, ça augmente ma confiance. Je suis si jeune, j'ai encore plein de choses à apprendre... »

Le hasard a voulu que De Grasse coure à côté de Bolt pendant la demi-finale. « J'ai donc été là pour les ovations deux fois ! Ça m'a gonflé. Je ne me suis jamais senti si bien pour la course et maintenant, je ne me suis jamais senti aussi heureux. »

On lui a remis un drapeau canadien pendant qu'il recouvrait ses esprits et que Bolt amusait la foule, pieds nus et bras en l'air.

De Grasse a fait le tour de la piste avec et, au bout de cinq minutes, il a trouvé sa mère. Ils se sont embrassés. Ils ont pleuré. Mais ce n'est pas le temps de trop s'épancher, reste deux courses, dont la meilleure du Canadien, le 200 m.

« Bolt ? Il me motive, j'essaye de le battre, mais c'est une autre sorte d'animal... »

- Andre De Grasse

Il secoue la tête.

On a vu que les deux se chuchotent constamment des choses, même dans le stade.

« Je ne peux pas vous dire ce qu'il dit, il n'arrête pas de parler. Il déconne tout le temps. On est dans la chambre d'appel, il déconne. On est sur la piste, il déconne encore. On rit sans arrêt. Je n'y porte pas trop attention. Il est incroyable. »

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Bolt s'est plaint de l'horaire exceptionnellement serré. « D'habitude, on a au moins deux heures entre les demi-finales et la finale. Là, on a eu moins d'une heure et demie. Je ne sais pas pourquoi, mais une chose est certaine : on aurait couru plus vite sans ça. À mon âge (29 ans), on a besoin de temps pour récupérer. Évidemment, un p'tit jeune comme ça [il pointe De Grasse, 21 ans], c'est pas grave pour lui... »

Ce ne fut pas une « course parfaite », loin de là, a dit Bolt. « Mais j'ai gagné. »

En 2012, il avait été question d'un match entre lui et David Rudisha, champion et recordman du 800 m. Ils pourraient se rencontrer sur 400 m ? Ça ne s'est pas fait.

Cette fois, Bolt dit qu'il ferait volontiers un 300 m avec celui qui a battu le record du monde du 400 m, Wayde van Niekerke, en 43:03 s - il a battu le record détenu pendant 19 ans par Michael Johnson (43:18).

« Mon coach veut que je fasse des 400 m depuis des années, mais je résiste autant que je peux. »

Pour l'instant, l'immortel et son petit frère ont deux autres courses au programme.