Ce n'est pas rare qu'un athlète trébuche en pleine course. C'est arrivé aux plus grands. Mais qu'il tombe, se relève et s'en aille gagner l'or au 10 000 m, ça, c'est ce qu'on appelle un morceau d'anthologie.

Au 10e des 25 tours, Mo Farah, le grand favori, vainqueur à Londres et champion du monde, a trébuché tout bêtement. Le stade a eu le souffle coupé - ça fait un bruit sourd et dérangeant, un stade qui arrête de respirer. Il était aux avant-postes, cinquième pour être précis, quand il est tombé. Le voici en 18e position...

« Heureusement, on n'était pas trop loin dans la course. J'avais le temps. Si je tombais plus près de la fin, j'étais foutu. Je me suis dit : "Essaie de te lever, panique pas, panique pas, panique pas ! Il reste encore plusieurs tours..." Mais je me disais aussi : "Est-ce que la course est foutue ? Avec tout ce travail ?" Et je me disais : "Non, non !" »

Ce n'était pas foutu du tout.

On dirait même que la chute du Britannique a dérangé davantage l'Américain Galen Rupp, son partenaire d'entraînement, qui s'est tenu à ses côtés tout le long. À Londres, Rupp avait été le seul capable de suivre Farah sur les deux derniers tours, pour aller chercher l'argent. Il a fini cinquième cette fois, et il a presque fallu une spatule pour le décoller de la piste où il s'est couché pour pleurer sa déception, après la course.

« Galen me disait : "Es-tu OK ? Es-tu OK ?" C'est vraiment un gars qui a tout un esprit sportif. »

Il avait beau être revenu, encore fallait-il trouver la force de gagner. Les Éthiopiens avaient l'intention de reprendre « leur » titre : depuis Atlanta, ils avaient raflé toutes les médailles d'or.

À Londres, devant son public hurlant, il avait imposé une accélération que personne n'a pu soutenir sur les deux derniers tours. Cette fois, ses rivaux l'ont suivi jusqu'à la fin. C'est dans les derniers mètres d'un tour couru en 55 secondes que ça s'est joué. Le Kényan Paul Tanui était encore premier à 100 mètres. Il a fini une demi-seconde derrière le champion.

Avec cette victoire (en 27 min 5,07 s), Farah entre dans la courte liste de ceux qui ont gagné l'or à deux JO de suite au 10 000 m, avec Zátopek, Lasse Virén, Gebreselassie et Bekele.

Puisqu'on parle de Virén, c'est à Montréal, justement, en 1976, qu'il avait réussi son doublé... après une chute !

Pour plein de raisons, vous le voyez, celle-ci va entrer dans les annales comme une des grandes victoires de l'athlétisme. Même si pour Farah, rien ne surpassera ses victoires devant ses compatriotes en 2012.

« Vas-tu finir par tenter de battre les records du monde du 5000 m et du 10 000 m [de Kenenisa Bekele] ? Les fans sont déçus que tu ne le tentes pas », a dit un journaliste.

« Ils sont très difficiles à battre, il faut être honnête avec soi-même... Mais je vais essayer, si j'ai une ouverture, entre des championnats dans une saison... avant de passer au marathon. »

Après son tour de piste drapé dans l'Union Jack, Mo Farah est allé embrasser sa femme. Il était ému. Après quelques secondes, elle l'a retourné, lui a frotté l'épaule qu'elle examinait avec un mélange de compassion et d'incrédulité. L'air de dire : « Fais attention où tu mets les pieds, Mo, la prochaine fois... »

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Le Canadien Mohammed Ahmed a complètement décroché et a terminé dernier (29 min 32,84 s). « Avec huit tours à faire, mes jambes n'étaient plus capables d'avancer... J'ai décidé que ce serait un entraînement pour le 5000 m. » C'est en effet sur cette distance qu'il excelle - il vient d'établir un nouveau record canadien.

Ce même soir où Farah essaiera un autre doublé...