Le quartier s'appelle Laranjeiras, « l'orange », et j'en achète une, place Sao Salvador. Nous sommes en avance pour le rendez-vous. Ça peut surprendre, au Brésil, paraît-il, alors je m'assois sur un banc de ce petit square paisible.

Ce n'est pas dans ce genre de joli petit « Plateau » de Rio, bastion de la gauche communautaire carioca, qu'on peut deviner les statistiques effarantes sur la violence dans cette ville.

Le nombre d'homicides a diminué de moitié depuis cinq ans, mais avec 1255 meurtres en 2015, Rio (6,3 millions d'habitants) est un des endroits les plus violents, dans un pays qui enregistre le record du nombre de morts violentes dans le monde - entre 50 000 et 60 000 ces dernières années.

Si je suis place Sao Salvador, c'est pour rencontrer Renata Neder, d'Amnistie internationale, qui enquête sur la réponse de la police à cette violence. Leur constat, c'est que les Jeux, comme la Coupe du monde, ont empiré la répression.

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À Rio, 20 % des homicides sont commis par la police. Cela voulait dire, en 2015, que 307 personnes (645 dans l'État de Rio) ont été tuées par des policiers - presque une personne par jour.

Et il se trouve que les années d'événements sportifs internationaux, le nombre d'homicides policiers augmente soudainement.

« La raison est simple, dit Renata. Les années d'événements majeurs, la police augmente ses interventions dans les favelas, pour "pacifier" les quartiers. Au lieu d'y aller une fois par semaine, ils y vont trois, quatre fois. Et comme c'est une police qui tue beaucoup, eh bien, elle tue plus de gens ! »

Entre 2006 et 2007, année des Jeux panaméricains, grand test de crédibilité pour la ville, le nombre d'homicides policiers à Rio est passé de 673 à 902. Il a redescendu pour atteindre 224 en 2013, mais en 2014, année de la Coupe du monde, l'État de Rio a connu une augmentation de 39 % des homicides policiers. Et depuis avril, dans les mois des derniers préparatifs avant les Jeux, le nombre de personnes mortes dans des opérations policières a monté en flèche à nouveau.

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Amnistie internationale a documenté le cas d'un enfant de 10 ans qui a reçu une balle perdue. Sa mère est sortie pour voir ce qui se passait, les policiers tentaient de déplacer le corps et de placer une arme à côté de lui. Les policiers sont suspendus, une enquête est ouverte...

« Ils entrent avec des blindés et ils tirent, tant pis pour les passants », dit Renata.

Les policiers aussi reçoivent des balles. Dans l'État de Rio, 228 policiers « dans l'exercice de leurs fonctions » ont été tués. Pendant la même période, 8000 personnes ont été tuées par la police dans l'État. « L'un ne justifie pas l'autre, les deux sont inacceptables », dit Renata.

Le nombre de policiers tués hors de leurs fonctions est beaucoup plus élevé, dit-elle, mais le contexte n'est pas clair. Plusieurs ont des boulots non autorisés dans la sécurité, d'autres forment des milices, d'autres sont dans diverses combines ou divers trafics...

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En novembre l'an dernier, cinq jeunes hommes non armés de 16 à 25 ans ont été criblés de 111 balles dans leur voiture en pleine ville. Des témoins ont vu que les policiers tentaient de trafiquer la scène de crime, en plaçant une arme. Pour une rare fois, les policiers ont été accusés d'homicide et sont détenus.

« Il y a un sentiment d'impunité très profond, seuls les cas médiatisés donnent lieu à des accusations », dit la chercheuse.

Des 220 enquêtes de la police judiciaire sur des homicides policiers pour l'année 2011, une seule a donné lieu à une accusation de meurtre cinq ans plus tard.

« Les rapports de police après un homicide font deux lignes. Ils racontent toujours la même histoire : le suspect a menacé, les policiers agissaient en légitime défense, le suspect résistait violemment... »

Amnistie a isolé un quartier où 10 personnes avaient été tuées par la police en 2014. On a découvert qu'il y en avait plutôt 12. Les 10 cas étaient de légitime défense, officiellement. « Mais dans neuf des cas, avec des témoignages, les rapports d'autopsie qui montrent comment les balles ont été tirées, on a de fortes preuves d'une exécution extrajudiciaire par la police. Dans certains cas, ils ciblent des criminels et les exécutent. Dans d'autres, c'est en tirant dans le tas. »

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« Dans un pays qui a le record du nombre d'assassinats, la priorité de la police devrait être de protéger la vie. Mais elle fait la guerre à la drogue. C'est une culture de violence qui est dangereuse pour les policiers aussi.

« Les victimes de la police sont des jeunes hommes noirs huit fois sur dix. Ça n'émeut pas tant le public, car ils sont présentés comme des criminels. C'est parfois le cas. Mais ça ne justifie pas des exécutions sommaires. Nous sommes une société raciste et notre police le reflète.

« Notre espoir, c'est qu'en mobilisant les gens, en faisant pression, les choses changent. Quand les cas sont connus, comme par hasard, la justice s'en saisit. »

This June 30, 2016 photo shows the body of a teenage boy who was killed while walking outside of his home turf in a gang controlled area of Rio de Janeiro, Brazil. Later in the day, according to residents, the father went to denounce his son's death to the gang and was shot dead. Overall murders are on the rise in the first half of 2016 say officials, and the victims are overwhelmingly young, black men. (AP Photo/Felipe Dana)

Officers take positions during a police operation against drug traffickers at the Jacarezinho slum in Rio de Janeiro, Brazil, Wednesday, June 29, 2016. Recent violence is adding to worries about safety in Rio during the Olympics. Officials have warned that budget shortfalls may compromise security during the games. (AP Photo/Felipe Dana)