Sur le parvis de l'église Candelaria, on aperçoit encore huit petites silhouettes rouges, peintes sur les pavés. Le temps les a effacées un peu. Les passants marchent sans s'en rendre compte sur ce qui représente les corps de huit enfants de la rue massacrés ici par un « escadron de la mort », en 1993.

Rio est encore une des villes les plus violentes au monde, dans le pays où il y a, de loin, le plus de meurtres au monde (régulièrement plus de 50 000 par année). Malgré tout, le taux d'homicides a diminué de moitié depuis 20 ans, ou même 10 ans. On rapporte encore régulièrement des braquages de voiture qui tournent au meurtre, des fusillades. Les policiers ont abattu 645 personnes dans cette ville de 6 millions d'habitants, l'an dernier seulement.

Il n'en reste pas moins que le centre-ville a changé de visage de manière spectaculaire, d'après les Cariocas à qui j'ai parlé. Ceux qui s'y promènent depuis deux semaines pour aller voir le port rénové et, depuis samedi, la flamme olympique, n'en reviennent pas.

« Le centre est très occupé la semaine, mais tu ne venais pas ici le samedi ou le dimanche, ni le soir ni le jour, c'était trop dangereux », me dit Joao Monteiro, qui découvre avec moi la nouvelle ambiance.

On a peine à se frayer un chemin sur l'avenue du Président Vargas, qui nous mène à l'église Candelaria.

En 1993, une centaine d'enfants dormaient autour de cette église, réputée la plus belle. C'est ici que se marient les gens de la haute. C'est leur basilique Notre-Dame.

La façade fait face à l'océan et s'ouvre sur une fontaine où les enfants de la rue venaient se baigner.

Ils vivaient de vols, de trafics et d'un peu d'aide des religieux. Il y avait souvent des affrontements avec la police. Cette nuit du 23 juillet, un escadron formé de policiers, de militaires et de sympathisants a décidé d'aller leur régler leur compte en tirant au hasard. Le plus vieux avait 20 ans, le plus jeune en avait 11. L'affaire a traumatisé le pays. Les survivants ont témoigné. Des procès ont eu lieu. Il y a eu des condamnations... on a peint des silhouettes. Le temps a passé.

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La « revitalisation » du port a commencé à peu près quand Rio a obtenu les Jeux, en 2009. Il fallait ramener la classe moyenne en ville, mais dans une zone aussi dangereuse, ce n'est pas si simple. « Le quartier a tellement une mauvaise réputation, depuis si longtemps », dit Joao.

Les hangars ont été retapés, des commerces ont été ouverts, une grande place est aménagée. Un stupéfiant « Musée de demain », en forme de squelette de poisson, ou de voilier, c'est selon, dessiné par l'Espagnol Santiago Calatrava, est censé être la pièce de résistance architecturale de ce « Porto Marvilha », le long d'un « boulevard olympique ».

Au lieu de la faire brûler dans le Parc olympique, comme c'est la tradition, la flamme olympique est installée ici, « pour le peuple de Rio ».

Joao trouve qu'on a passé l'Histoire à l'eau de Javel, dans cette vaste rénovation. Ce n'est sans doute pas innocent.

La stratégie de la Ville est de briser cette « stigmatisation » du quartier pour intéresser les gens à venir y habiter. Un tramway sera inauguré bientôt, les rails sont visibles. Les Jeux sont peut-être moins l'occasion de montrer la ville au monde que de la montrer sous un nouveau jour aux Brésiliens eux-mêmes. Que les Cariocas revisitent leur propre ville.

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À 10 minutes du « Port merveilleux », on retrouve les rues piétonnes du vieux centre de Rio, qui n'est pas sans charmes. Les touristes font la queue à la centenaire Confeitaria Colombo, où Daniel Pinard, ex-Carioca, m'a ordonné d'aller. Il n'avait pas tort.

Le décor sublime de la vieille pâtisserie, avec ses immenses miroirs, ses vitraux au plafond, rappelle les brasseries parisiennes. On y trouve une exquise tartelette au maracuja - il me semble que le mot goûte meilleur que « fruit de la passion ». On y trouve surtout l'écho d'un temps révolu où la vie économique et politique du pays tournait autour de ce quartier, et qui tente de se projeter dans « demain ».

Photo YASUYOSHI CHIBA, Agence France-Presse

Le Museu do Amanha (Musée de demain), dessiné par l’Espagnol Santiago Calatrava, pièce de résistance architecturale de la revitalisation du port de Rio de Janeiro

Photo Felipe Dana, Associated Press

Avec ses immenses miroirs et ses vitraux au plafond, la Confeitaria Colombo, dans le vieux centre de Rio, rappelle les brasseries parisiennes.