Plusieurs Rio se rencontraient juste ici. À un bout de l'Avenida Atlantica, qui borde la plage de Copacabana, 3000 manifestants bloquaient la rue. « Fora Temer ! » - va-t'en, Temer ! Ils traitaient le nouveau président non élu de golpista - putschiste.

Un kilomètre plus loin, 5000 autres personnes leur faisaient dos et n'en avaient rien à cirer. Elles s'étaient massées pour voir passer sur ses derniers kilomètres la flamme olympique. Elle n'arrivait pas. Elles disaient que tout arrive en retard au Brésil, mais que tout finit par arriver. Tout le monde étirait le cou pour voir au loin... Elle arrive ? On ne la voit pas...

Entre les deux groupes, 500 policiers de toutes sortes, dont la police militaire armée jusqu'à la cagoule. Pour faire passer le porteur de flambeau et son cortège olympique, il faudrait tasser les manifestants bien serrés. Ça ne se ferait pas avec le sourire, vu qu'un de leurs slogans parle de calamidade olympico - oui, la calamité olympique. Ça pourrait mal finir...

Mais à travers tout ça, se frayant un chemin comme si de rien n'était, des cyclistes avec une planche de surf sous le bras traversaient la foule. D'autres passaient avec une pile de chaises de plage à louer, des boissons à vendre, un vélo, un Speedo très ajusté ou des cartes pour vous offrir un massage du bas du corps.

C'était un vendredi midi magnifique à Copacabana. La vie de la plage a ses rituels que ni les renversements de régime ni les Jeux olympiques ne doivent perturber.

Vers midi et demi, ils ont envoyé la flamme passer dans une autre rue. La foule olympique s'est égrainée tranquillement. Pas de flamme. « Foutue manifestation », a râlé un homme devant moi.

Ces deux ou trois Rio se sont éloignés à pas lents.

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Petite victoire pour les manifestants, mais ce sera la dernière. Maintenant que les Jeux sont là, la fête commence et les Cariocas se rallient, on dirait bien.

L'ironie de l'affaire, c'est que celui qui a fait la promotion des premiers Jeux pour l'Amérique du Sud, celui qui a pleuré de joie en 2009 quand Rio les a obtenus est nul autre que l'ex-président Lula, du Parti des travailleurs. Une partie de la gauche dit qu'il a trahi le peuple, vu la tournure des événements. D'autres plaident que c'est la Ville de Rio, les promoteurs et le CIO qui ont rendu le projet « calamiteux ».

Il y avait dans cette manif vendredi un amalgame de tous les groupes de gauche, mais ils se rallient encore autour du Parti des travailleurs, des différents partis socialistes, en passant par des centrales syndicales, des groupes communautaires, etc.

Je n'essaierai pas ici de démêler l'écheveau des partis politiques brésiliens, encore plus étonnant que le pentathlon moderne.

Disons simplement ceci : la gauche, même celle très critique de Dilma Rousseff, considère l'arrivée au pouvoir de Michel Temer sans élection comme un coup d'État légalisé. Difficile de lui donner tort. Un procès parlementaire pour destituer un chef d'État, même s'il fait l'objet d'une enquête policière, n'est pas vraiment un exercice de justice impartiale...

Les centaines de milliers de personnes qui défilaient sur cette même plage l'an dernier pour dénoncer la corruption de Dilma et de Lula étaient soutenues largement par des partis de droite dont plusieurs représentants se sont illustrés par une corruption beaucoup plus spectaculaire que ce qui est reproché à l'ex-présidente, somme toute assez modeste à l'échelle brésilienne.

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Si je me fie à ce que j'ai lu avant d'arriver ici, on devrait avoir affaire à une ville militarisée et sous haute tension. C'est vrai, l'armée est présente le long des grandes routes et près des installations olympiques. Mais dès qu'on quitte ces zones, rien n'y paraît.

Vrai aussi, les immeubles d'habitation sont souvent gardés nuit et jour, souvent derrière des grilles. La ville aux trottoirs de mosaïques n'en est pas moins sous le signe de la décontraction.

Dans le vieux centre, on découvre une ville paisible, pleine de charmes, aux couleurs un peu délavées, négligée des promoteurs, qui sont allés investir dans les nouveaux quartiers.

On entre au hasard dans l'église Sao Francesco de Paula et on découvre un décor baroque tellement chargé, on dirait que tous les anges vont vous tomber dessus.

Sur la place devant l'Institut de philosophie et de sciences sociales, haut lieu de manifs et de grèves étudiantes, on a organisé les « Jeux de l'exclusion ». J'y ai vu un documentaire norvégien sous-titré en portugais, que m'a traduit la prof Anne-Marie Broudehoux, de l'UQAM, qui étudie la manière dont les Jeux olympiques changent et refont les villes. A suivi une discussion entre intellectuels sur la pertinence du gigantisme olympique, triomphe du libéralisme marchand...

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Quelque chose s'est fané. La beauté des bâtiments coloniaux et des maisons colorées est partout sous un peu de poussière. La ville, me dit-on, ne s'est pas vraiment remise de la perte de son statut de capitale au profit de Brasília, il y a 50 ans.

Dans la rue que les Cariocas ont rebaptisée Beco das Sardinhas, la « rue des Sardines », on vous sert encore à quelques terrasses ces poissons panés dans le manioc et des acras de morue. Avec un peu de lime et de sauce piquante et un verre de bière froide, je ne trouve aucune bonne raison de ne pas embrasser la tradition.

Zika, dites-vous ? Dès que je trouve un moustique, je le capture et le mets de côté au bénéfice des lecteurs. Il est jusqu'ici au nombre des exclus, lui aussi.