Il n'y a pas encore de Pacte international sur la libre circulation des emmerdeurs. L'affaire Dieudonné, dans sa version canadienne, n'en est pas une de liberté d'expression. C'est une affaire d'immigration. Et dans l'état actuel des choses, le Canada est parfaitement en droit de refouler l'humoriste aux frontières.

Si Dieudonné était un citoyen canadien, personne ne pourrait lui interdire de faire sa série de spectacles. L'État ne peut évidemment pas censurer un spectacle, à moins de la preuve claire qu'une infraction criminelle sera commise. Personne, non plus, ne peut empêcher légalement la diffusion web de son spectacle à Montréal. On ne sait même pas ce qu'il dira !

Même en France, où les lois sont passablement plus restrictives, les autorités ont jusqu'en 2014 échoué à faire interdire les spectacles de Dieudonné. Pas moins de neuf fois, des juges français ont annulé des interdictions de spectacle décrétées par des préfets ou des maires un peu partout en France.

Toutefois, la plus haute instance française en la matière, le Conseil d'État, a fait fi de cette jurisprudence en 2014. Sur la foi d'une simple déclaration des autorités évoquant une « menace à l'ordre public », on s'est mis à interdire ses spectacles, autorisation judiciaire à l'appui. C'est d'autant plus troublant que l'ordre venait de haut : le premier ministre Manuel Vals lui-même en avait appelé à la censure.

Sauf que ce n'est pas de ça qu'il s'agit chez nous. Il s'agit de savoir si l'on peut empêcher d'entrer au pays un étranger traînant dans ses bagages 15 condamnations pénales dans un État de droit. La réponse est claire : oui, on peut très bien.

***

Dieudonné n'est pas canadien. Il est français. Comme tout étranger, il doit se plier aux règles canadiennes avant d'entrer en territoire canadien.

Aucun pays n'est obligé de recevoir un visiteur - si l'on excepte les réfugiés. Les pays peuvent élaborer les critères de leur choix pour refuser l'entrée sur leur territoire, et ils ne s'en privent pas. Quiconque a un casier judiciaire et tente d'entrer aux États-Unis en sait quelque chose.

Au Canada, la Loi sur l'immigration prévoit les cas d'interdiction de territoire : grande criminalité, terrorisme, fausse déclaration, ou même la notion assez vague de « constituer un danger pour la sécurité du Canada ». On a déjà refusé l'entrée au Canada à des imams homophobes, ou qui propageaient des propos misogynes. Ils n'avaient pas fait l'objet de condamnation criminelle. Simplement, on en savait assez long sur eux pour penser qu'ils inciteraient à la haine, qu'ils engendreraient une forme de désordre quelconque, bref, pour les trouver indésirables.

Bye-bye.

Encore là, si ces gens avaient été des citoyens canadiens, il aurait été difficile d'interdire à l'avance un prêche dont on ne connaît pas le contenu. Notre droit répugne à bannir préventivement des propos. Ce n'est qu'après coup que la loi interviendra. Voilà un problème de liberté d'expression.

Quand un étranger se présente à l'aéroport, ce n'est pas du tout le sujet.

***

Vous êtes le douanier un p'tit mardi midi à l'aéroport Trudeau. Un comique s'amène avec 15 condamnations, dont une toute fraîche sortie du palais de justice de Paris, pour « provocation à la haine raciale ». La peine : deux mois de prison avec sursis plus 10 000 euros d'amende.

La condamnation s'ajoute à plusieurs autres, certaines allant jusqu'à trois mois de prison et 30 000 euros d'amende. Toujours pour ses allusions antisémites, ses blagues sur la Shoah, etc.

Il est vrai que ces crimes n'existent pas au Canada. Il est interdit d'inciter au génocide, mais la négation du génocide n'est pas une infraction. De même, en droit pénal canadien, il ne suffit pas d'inciter à la haine contre un groupe identifiable ; il faut en outre que cette incitation soit susceptible de troubler la paix.

Quant au crime d'apologie du terrorisme, qui n'a pas d'équivalent en droit canadien, il y a fort à parier qu'il ne tiendrait pas la route constitutionnellement au Canada, tant on peut y fourguer toute forme d'insulte ou de blague de mauvais goût.

Autrement dit, s'il avait « commis » ses spectacles au Canada, il n'est pas certain du tout que Dieudonné aurait été condamné à quoi que ce soit. Ça se discute, en tout cas. Or, la loi prévoit qu'on peut refuser au pays une personne ayant été condamnée pour des gestes qui, s'ils avaient été commis au Canada, seraient une infraction fédérale.

Sauf que vous êtes le douanier, ce p'tit mardi midi. Pas un docteur en droit comparé. Vous voyez ce type arriver avec 15 condamnations. Pas par un tribunal d'Arabie saoudite. De juges d'un pays reconnu depuis un certain temps pour son respect des libertés publiques... Et vous voyez ses condamnations multiples... prison avec sursis... plusieurs fois... des centaines de milliers de dollars d'amende...

Vous lui dites quoi ? Vous lui dites : désolé, mon vieux, je n'ai rien à cirer de votre nouveau spectacle, ni des anciens d'ailleurs, mais vous n'êtes pas le bienvenu. Bonne chance dans votre combat judiciaire pour la liberté d'expression chez vous... en attendant : bye.