Ça ne paraît pas toujours, mais l'humanité progresse de temps en temps. Il y a des indices. Les temps sont difficiles, alors je m'accroche à cette idée comme un naufragé à une bouée.

« Les Américains sont des cons », me disent parfois mes enfants depuis que Donald Trump va de succès en succès. Mais non, mais non, vous verrez, ça va s'effondrer, il ne se rendra pas à Noël, leur répondais-je.

Noël vint... puis le Nouvel An... et les primaires... Et Pâques... Et il mène toujours.

L'automne dernier, on le mettait à peu près à égalité dans une élection contre Hillary Clinton.

Politique étrangère complètement échevelée, mensonges, contradictions, coups en bas de la ceinture... Y a rien à faire, il continue à gagner. À gagner chez les républicains, en tout cas.

Ce mois-ci, l'Unité de renseignement du magazine Economist, formée d'un groupe d'experts internationaux, a placé l'élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis en sixième position de son top 10 des risques que court la planète - ex aequo avec le terrorisme djihadiste. Ses déclarations agressives sur le Mexique et la Chine, son hostilité au libre-échange, ses politiques économiques incohérentes, son caractère imprévisible risquent de créer des guerres commerciales dommageables pour le monde entier - et des guerres tout court.

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Et soudain, comme si finalement les Américains s'étaient secoués, les sondages indiquent un rejet massif de Trump. Hillary Clinton est impopulaire, mais Donald Trump est franchement détesté. L'écart est maintenant clair et tout indique que le Parti républicain court à la catastrophe avec lui. Dans toutes les tranches d'âge et de revenu, peu importe le sexe ou l'origine ethnique, il est « perçu négativement ». Or, à partir d'avril, les sondages sont largement indicatifs des résultats réels d'une élection présidentielle américaine.

Le système archaïque des primaires et des caucus a quelque chose d'absurde, le système électoral américain et sa campagne perpétuelle donnent l'impression d'être pervertis par l'argent et les lobbies...

Ce système a au moins le mérite d'exposer jour après jour les candidats. Ça produit une sorte de bruit de fond politique auquel la majorité ne porte pas tellement attention au départ. Jusqu'à ce que peu à peu s'accumulent les « non, mais t'as entendu ce qu'il a dit, ce con ? ».

Bref, ce n'est peut-être plus vrai que Trump pourrait aller sur la 5e Avenue à New York et descendre un passant au hasard sans que sa popularité baisse.

Ce n'est pas que les gens sont nonos, c'est que des fois, ils sont occupés ailleurs.

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Ça me fait un peu rire d'entendre dire que Trump est une « fabrication des médias ». Il a été dénoncé à peu près unanimement par la presse. Lui-même s'est mis à dos à peu près tous les médias « mainstream ». Il a même entretenu une querelle avec une journaliste vedette du réseau conservateur Fox.

Sa stratégie médiatique était aussi antimédiatique : occuper le terrain, être partout, mais en attaquant sauvagement les médias - eux-mêmes objets de suspicion, tout comme la classe politique en général. Ça l'a servi un temps. Mais à sept mois des élections, ce système bizarre qui ramène les électeurs au centre lui envoie la facture pour son abus de notoriété.

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Oui, je sais, ce n'est pas fini. On ne sait pas non plus ce que peuvent sécréter les démocraties constitutionnelles dans les années à venir face à toutes les crises - économiques, sociales, d'immigration, de sécurité...

Laissez-moi ma bouée en attendant, s'il vous plaît. Elle est faite d'un reste insubmersible de foi dans la raison souvent bien cachée des êtres humains.

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Il y a des indices, je vous dis. Le mois dernier, un jury de Floride s'est fait dire par le propriétaire du site de nouvelles et de potins Gawker que la liberté d'expression permet de diffuser le « sex tape » d'une vedette sans son consentement.

- Voyez-vous une limite à ce droit de diffuser une vidéo de relations sexuelles ? a demandé l'avocat de l'ex-lutteur Hulk Hogan, qui poursuivait le site.

- Si ça implique un enfant, a répondu l'ex-éditeur.

- De quel âge ?

- Moins de 4 ans.

Le type a ensuite expliqué que c'était dit en riant, mais apparemment, le jury n'a pas compris le gag. Gawker a été condamné à verser 140 millions. Coquette somme, vu que l'ex-lutteur ne demandait « que » 100 millions. En appel, les sommes délirantes décidées par des jurys américains sont parfois ramenées plus près du sol.

L'intérêt de l'affaire, c'est le principe. On entend plusieurs défenseurs des « nouveaux médias » plaider pour de nouvelles règles de diffusion. Sur l'internet, les vieilles lois n'auraient plus cours. Les conceptions de la vie privée sont antiques : regardez simplement tout ce que les gens mettent sur Facebook - et ailleurs, surtout ailleurs ! Leurs amis, leurs relations, leurs enfants, leurs histoires - ne manquent que leur ADN et certains angles de leurs organes génitaux.

Hogan, de son vrai nom Terry Bollea, parlait librement de sa vie sexuelle dans ses entrevues, a fait valoir l'avocat de Gawker. Il a ouvert la porte de sa chambre à coucher, en somme. Donc, le copain qui l'a filmé en train de sauter sa femme (la femme du copain, bon, c'est une histoire compliquée) aurait eu le droit d'envoyer la vidéo et Gawker d'en diffuser 1 minute 41 secondes des meilleurs moments. C'est du simple divertissement !

Eh ben non. C'est une violation grave de la vie privée, un truc qui existe encore malgré les apparences. Eh oui, y a des limites, ont dit les 12 jurés.

Sont pas si cons, finalement, les Américains.