Il ne fallait pas être un peureux pour aller défendre le rapatriement de la Constitution dans les cégeps du Québec, en 1982. C'est dans le mien que j'ai vu pour la première fois ce député libéral. Jean Lapierre, déjà élu deux fois, n'avait que 25 ans et donnait l'impression d'avoir notre âge. Je ne me souviens que de ça : il s'était avancé en souriant sur ce territoire hostile, il avait plaidé sa cause passionnément.

Huit ans plus tard, j'ai pu voir à l'oeuvre l'instinct politique de l'homme. J'étais chroniqueur judiciaire à La Presse. Un jour de janvier 1990, le juge Yvan Macerola entend la cause d'un entraîneur qui veut une injonction pour se rendre aux Jeux du Commonwealth. À l'heure du midi, le juge reçoit un appel du jeune ministre fédéral du Sport amateur, Jean Charest, qui est en Nouvelle-Zélande. Le juge refuse de prendre l'appel. Il rentre en salle d'audience et déclare que le ministre Charest vient de tenter de le joindre directement. C'était une gaffe majeure, une violation évidente de la séparation des pouvoirs.

J'ai à peine eu le temps d'appeler le député libéral Jean Lapierre pour des « commentaires » qu'aussitôt il convoquait une conférence de presse pour réclamer la démission de Charest - ce qu'il fit le lendemain. Ce n'est pas la demande qui m'a surpris mais l'extrême urgence avec laquelle il a précipité les choses. Il faut dire que le député Lapierre avait appris la leçon quand son mentor André Ouellet avait été obligé de démissionner du cabinet pour avoir traité un juge d'idiot...

C'est vrai, Jean Lapierre connaissait tout le monde en politique, il parlait à peu près à tous les acteurs, y compris des gens qui entre eux ne se parlaient pas. Il avait le pouls de son public et de chaque circonscription, aurait-on dit.

C'est vrai que pour ça, toute la classe politique, presque tous les journalistes commençaient leur journée en allant écouter ce que Lapierre avait dit, ou s'ils ne le faisaient pas, ça leur viendrait aux oreilles de toute manière. Il établissait plus souvent que quiconque l'ordre du jour de la discussion politique au Québec.

Mais les scoops, les potins, les histoires de coulisse, les anecdotes n'expliquent pas totalement le succès de Jean Lapierre. C'était aussi un raconteur. Un jaseur. Un confident. Ne passons donc pas sous silence le talent de l'homme de radio - pour moi, c'est là qu'il était au mieux.

Après 22 ans à développer une complicité, une intimité et un ton absolument uniques, le segment de radio matinale avec Paul Arcand était un des meilleurs moments de radio au Québec, point. Il pouvait être drôle ou grinçant ou exaspérant. Mais de quelque chapelle qu'ils soient, personne ne peut le nier : c'était de la maudite bonne radio.

Plein d'auditeurs anonymes sont aussi en deuil ce matin.

Photo Denis Courville, Archives La Presse

Selon Yves Boisvert, c’est à la radio, où il a développé une complicité pendant 22 ans avec Paul Arcand – d’abord à CKAC, puis au 98,5 FM – que Jean Lapierre était au mieux.