Avant de parler des 8 millions, ou de la hausse de tarif dans le hockey mineur, faudrait revenir au point de départ. Un ado de 16 ans ne marchera plus, ne pourra plus utiliser ses mains parce qu'il a été plaqué dans le dos.

Faudrait aussi dire à tous les joueurs de hockey : regardez, les gars, pourquoi c'est dangereux de « cross-checker » quelqu'un dans le dos. Pas pour les 8 millions. Pour ce que sera la vie d'Andrew Zaccardo.

Le message du juge Daniel Payette est assez simple, finalement : la loi s'applique aussi sur les patinoires, même si ça ne paraît pas tout le temps.

Et cette loi, que dit-elle ? Qu'on est responsable des dommages qu'on cause par sa faute.

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Oui, on accepte des risques quand on pratique un sport de contact. Oui, il y a des accidents. Une mauvaise chute, un contact avec un poteau, une bande, une lame de patin : on peut se blesser gravement, au hockey. Mourir, même.

Mais on n'accepte pas « n'importe quel risque », rappelle le juge. On accepte les risques raisonnables liés à ce sport : la vitesse, les collisions accidentelles, les mauvais freinages, les chutes, les coups d'épaule légaux, tout ça peut entraîner de graves blessures.

Se faire plaquer dans le dos, ça ne fait pas partie de la « rudesse » qu'on doit raisonnablement prévoir dans un match de hockey. Pas plus que recevoir un coup de bâton sur la tête.

C'est vrai, quand on visionne la mise en échec dans cette affaire, on se dit : j'ai vu bien pire dans le hockey organisé et désorganisé. Dans nombre de parties de mes fils, j'ai vu des choses à peu près semblables. On voit encore ça souvent dans la Ligue nationale - prenez des notes, messieurs !

La différence, c'est que dans 99,99 % des cas, le joueur se relève, l'arbitre siffle, l'agresseur est expulsé. Ça crie dans les gradins. Et on n'en parle plus.

Ces gestes d'une violence devenue banale n'en sont pas moins des fautes civiles. Il ne s'agit pas d'un accident : il s'agit d'un geste délibéré.

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Bien entendu, le jeune agresseur n'avait rien prémédité. C'est arrivé vite, en quelques secondes. Il avait raté sa passe, il s'est précipité pour récupérer la rondelle... Il est arrivé trop tard et il a poussé celui qui l'avait récupérée. Bang.

Bien entendu, aussi, il n'a jamais cru qu'il allait blesser le jeune Andrew. Encore moins qu'il serait lourdement handicapé pour la vie.

Ça ne change rien au fait qu'il savait que c'était une faute. D'abord parce que, la saison précédente, il avait été suspendu un match pour un geste semblable. Ensuite, parce que, depuis une dizaine d'années, on dit et répète aux jeunes que ces gestes sont interdits et dangereux. Il a vu des vidéos là-dessus, comme tous les autres hockeyeurs au pays. Le juge passe en revue les règlements et l'accent sans cesse grandissant mis par Hockey Québec et Hockey Canada.

S'il y a une faute, s'il y a des dommages, s'il y a un lien entre les deux, il y a responsabilité civile. La faute a beau être courante, ordinaire, elle est claire. Les dommages sont catastrophiques. Et ils résultent de cette mise en échec illégale. La boucle est complète.

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Le monde du hockey est sonné depuis ce jugement. Il y en a pourtant eu d'autres au Canada, de temps en temps. En fait, quand on soumet à un tribunal une affaire de violence de hockey, le problème s'éclaire soudain de la lumière crue du bon sens.

Si je cours à toute vitesse sur le trottoir, que je vois de loin un piéton, que je fonce dedans et que je le blesse, je ne pourrai pas dire au juge : il avait juste à lever la tête. Je suis responsable de mes actes et de leurs conséquences prévisibles.

Au hockey, à cause des mises en échec et d'une conception antique de la robustesse qui ne veut pas mourir, on n'a pas vraiment accepté cette idée complètement. Songez aux années qu'il a fallu avant qu'on sévisse un peu contre les coups à la tête. Le gars jouait la tête baissée, tant pis pour lui !

Il y a pourtant une responsabilité de ne pas blesser, de faire attention à l'autre, que tout le monde applique jusqu'à la porte des arénas...

Va-t-on voir une avalanche de poursuites ? Non, pour la très simple raison que d'aussi épouvantables blessures n'arrivent presque jamais. La preuve est difficile à faire - ici, il y avait une vidéo. Et que chaque cas est unique.

Est-ce que les coûts d'assurance augmenteront ? C'est... un risque.

Pour le moment, j'insiste sur deux choses. C'est un jugement tout à fait exceptionnel. Ça ne veut pas dire qu'il est erroné.

Ça veut dire que les milliers de fois où vous avez fait des trucs semblables sans y penser, ou que vous en avez subi, vous avez été ben, ben chanceux, les gars.

J'espère que plein de gens vont vous dire que jouer avec intensité, ça veut quand même dire : faites attention aux autres.