C'est un verdict qui a l'air d'une réparation.

Pour Isabelle Gaston, bien sûr, le mot « coupable » vient mettre un semblant d'ordre dans le monde. Guy Turcotte a tué ses enfants, leur absence durera pour toujours, mais cette fois, on le tient pleinement responsable. Après bientôt sept interminables années...

Pour le ministère public, après un premier procès mal mené, il fallait absolument se montrer à la hauteur. De toute évidence, René Verret a présenté des experts plus solides, une preuve mieux ramassée.

Pour le système de justice, même si personne ne l'admettra en public, cette condamnation est aussi une réparation. L'affaire Turcotte était devenue le symbole encombrant d'une sorte de faillite morale de la justice...

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Ce qu'on a dit depuis le premier verdict était exagéré, souvent insensé, injuste la plupart du temps, mais c'est devenu une sorte de vérité officielle.

Quoi ? Qu'il suffit de se déclarer fou, de trouver deux, trois experts complaisants pour vous bricoler un diagnostic, pourvu que vous ayez de l'argent pour vous payer les meilleurs avocats, vous allez vous en tirer.

Ce n'était pas vrai et ça ne l'est toujours pas. Bien entendu, avec des avocats compétents comme les frères Poupart, un accusé est entre meilleures mains. Tant mieux, d'ailleurs, sa défense sera pleine et entière. Mais dans ce métier, les acquittements demeurent l'exception. Le juge Jacques Delisle, accusé du meurtre prémédité de sa femme, n'avait pas un deux de pique pour le défendre en Jacques Larochelle. Il n'en a pas moins été condamné.

En passant, cette défense n'a pas été financée à coups de millions : Turcotte est en faillite depuis longtemps et ses avocats étaient payés par l'aide juridique, pour une fraction des honoraires qu'ils commandent normalement. Avec toute l'opinion publique contre eux, ils n'ont jamais abandonné leur client.

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Depuis 150 ans qu'elle existe, la défense de folie n'a jamais été facile à accepter socialement. Elle n'a jamais été facile à présenter non plus.

Personne ne veut laisser courir les meurtriers ou que les crimes demeurent impunis. Les jurés sont des citoyens moyens tout aussi soucieux de condamner les coupables que vous et moi. Mais on accepte aussi qu'une personne en proie au délire a sa place à l'hôpital psychiatrique, pas en prison.

On présume qu'un accusé est sain d'esprit. Cette défense est donc exceptionnelle puisque l'accusé n'a pas seulement à soulever un doute sur son état mental au moment du crime ; il doit prouver qu'il ne pouvait distinguer le bien du mal.

Quoi qu'on dise des experts, la plupart des cas sont clairs, il n'y a même pas de débat entre eux. On est devant un cas psychiatrique lourd et la personne est envoyée à Pinel d'un commun accord ; ou ça ne passe pas la rampe et la défense ne s'essaie même pas.

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Le cas Turcotte était donc un de ces relativement rares cas d'affrontement entre deux thèses psychiatriques. Règle générale, dans ces cas contestés devant jury, même avec des accusés sous médication, la défense échoue - voir Francis Proulx, etc.

Or au premier procès, non seulement il y avait confrontation de deux thèses, mais l'accusé lui-même avait un cas hors normes : aucun antécédent psychiatrique, un trouble mental modéré, pas de perte de contact avec la réalité...

Il avait tout de même convaincu un jury en 2011 que cette nuit-là, il ne savait plus ce qu'il faisait.

C'était assez renversant. Mais il y a toujours une raison aux verdicts de jury. On les a convaincus, dans ce cas particulier, que pour faire ça, ce jour-là, Guy Turcotte (un si bon père, un médecin exemplaire !) devait être... vraiment malade. La poursuite avait échoué à présenter une contre-expertise de qualité.

Tout cela est éminemment critiquable, choquant tant qu'on voudra. Mais ça n'a jamais annoncé d'autres verdicts semblables ni voulu dire qu'au Québec on banalisait le meurtre, etc. Si ça se trouve, après le traumatisme de ce verdict, il est devenu plus difficile de présenter une défense de troubles mentaux au Québec !

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Ce jury-ci a pris son temps comme le premier. Il n'a pas trouvé assez de preuve d'une préméditation. Ça ressemblait à un accès de rage plus qu'à un plan meurtrier. Avec intention coupable claire malgré tout. Ça donne des meurtres « non prémédités ».

Cette fois, le verdict est compréhensible. Il a un sens clair. Ce sera dans le public une sorte de réparation, oui, y compris pour plein de choses qui n'étaient pas brisées.

Et on pourra enfin tenter de fermer ce chapitre infiniment triste.