On avait dit d'eux qu'ils avaient simulé un acte terroriste. Vendredi, les six étudiants ont bénéficié d'une «absolution inconditionnelle».

C'était le 10 mai 2012, quand la crise étudiante pourrissait dangereusement. Certains avaient enfumé une station de métro avec un fumigène. D'autres avaient lancé des sacs de briques sur les rails du métro pendant qu'on déclenchait les freins d'urgence.

Plusieurs lignes de métro avaient été arrêtées, certaines pendant plusieurs heures.

On a rapidement arrêté les vandales. Ils ont été accusés de méfait, ça va de soi, mais la poursuite a décidé de mettre la gomme: on les a accusés aussi en vertu des dispositions antiterroristes du Code criminel d'avoir «incité à faire craindre un acte terroriste». C'était un peu gros, je l'ai dit à ce moment, mais rappelez-vous le climat tendu et vaguement parano de l'époque.

Trois ans plus tard, ils s'avouent coupables et, d'un commun accord avec la poursuite, ils demandent une «absolution inconditionnelle».

La juge Manon Ouimet a entériné l'entente, tout en admettant sa «réticence naturelle» devant les «crimes politiques». En pareilles circonstances, le juge s'écarte rarement des suggestions communes.

J'en entends qui se scandalisent de cette décision. Ce n'est pas mon cas. Certains ont subi quelques jours d'emprisonnement. Ils sont tous soumis à des conditions de mise en liberté depuis trois ans. Ils sont aux études. Si vraiment ils reconnaissent leurs torts, je ne vois rien de déraisonnable à les laisser commencer leur vie adulte sans casier.

Ce qui me trouble, par contre, c'est l'arbitraire qui préside à la distribution des absolutions. Un peu comme à la banque «on ne prête qu'aux riches», on absout plus volontiers ceux qui sont du bon côté de la vie.

Le procureur de la poursuite et le juge seront plus volontiers enclins à l'absolution pour cet étudiant à la maîtrise qui rêve de devenir prof et veut pouvoir voyager de congrès en congrès. Ou cet étudiant en droit qui veut être admis au barreau. Ou ce policier de 51 ans qui a importé 1500 comprimés et 45 fioles de stéroïdes «pour consommation personnelle», et qui risque de perdre son emploi (cas réel).

La justice ressemble rarement autant à la religion que dans le rituel d'absolution. Confession de la faute, expression de repentir sincère, promesse de ne pas recommencer... et dans sa robe, sourcils froncés, le clerc lave le pénitent de ses pêchés.

Ego te absolvo...

La mesure a été introduite dans le Code criminel pour éviter les conséquences exagérées d'un faux pas dans une vie autrement rangée. L'absolution «inconditionnelle» ne crée pas de casier judiciaire. Si elle est conditionnelle, elle laisse une trace pendant trois ans.

L'absolution doit être dans l'intérêt de l'accusé et pas contraire à l'intérêt public. Un espace assez large, comme vous voyez, et comme le révèlent les décisions des tribunaux...

Au fil des ans, on a étiré de manière assez comique le mot «inconditionnel», comme savent si bien le faire les gens de droit.

Ainsi, on présentera souvent au juge un «don» fait par le délinquant à un organisme de charité. Dans le cas des poseurs de briques (mes excuses aux maçons), l'un devra faire 240 heures de travail communautaire, et deux autres 90 heures.

Si cela n'est pas une «condition» assortie à l'absolution, qu'est-ce donc? Un hobby agréé par le juge?

Le coeur de la justice saigne et veut absolument éviter le casier judiciaire à ces jeunes pleins de promesses... mais en même temps envoyer un semblant de mise en garde. On ne badine pas avec les absolutions!

Je les trouve drôles, des fois.

Si vous avez 18 ans à Thetford Mines et que vous essayez fort de finir vos maths et votre français, vous risquez d'avoir moins de chance.

Ce gars dont je vous parle a été arrêté près d'un aréna avec 5 grammes de pot. Comme il était dans une auto avec des petits trafiquants, on présume que ce n'était pas pour sa consommation.

Il est à peine majeur. Il n'a pas le moindre antécédent. Il est inscrit à un cours pour être monteur de ligne. Peut-être qu'un jour il aimerait travailler chez Hydro. Mais avec un casier, c'est sûr que c'est moins bon...

Le juge l'a refusé. Projets trop vagues. Amende de 100$ et casier à la clé.

Je répète ici que je ne suis pas du tout scandalisé par l'absolution des six du métro.

Il y a tout de même une ironie à voir advenir cette absolution compatissante pour ceux qui voulaient dénoncer le système.

Je pense à ce gars de Thetford et je me dis qu'il avait droit, tout autant, à cette deuxième chance, même si son avenir est un peu plus embué...