Pierre Karl Péladeau a eu un gros été, le mariage, le vélo, les vacances, enfin bref vous savez ce que c'est, on a tout juste le temps de faire sécher son maillot, c'est déjà la rentrée.

Si bien que l'homme n'a toujours pas mis ses actifs dans une fiducie, avec ou sans droit de regard. On peut se demander comment il se fait que tout ça n'était pas préparé de longue main par son cabinet d'avocats, qui planche sans doute là-dessus, depuis le temps que le sujet fait surface. Mais bon, ces choses-là doivent être plus compliquées que d'ouvrir un compte à la caisse populaire...

M. Péladeau est donc chef de l'opposition officielle à l'Assemblée nationale et toujours actionnaire de contrôle sans restriction de Québecor.

C'est à titre d'ex-président de Québecor, j'imagine, qu'on l'a vu poser joyeusement en fin de semaine avec le maire de Québec Régis Labeaume et l'ex-premier ministre Jean Charest, au milieu de la glace du nouveau Centre Vidéotron. MM. Charest et Labeaume ont convaincu leur administration de fournir presque entièrement les 370 millions nécessaires pour construire l'amphithéâtre géré par la société de M. Péladeau. C'est la moindre des choses qu'il aille leur serrer la pince.

Toute l'opération fait partie du plan de retour des Nordiques. Comme chacun sait, Québecor est en lice pour obtenir une équipe de la Ligue nationale de hockey.

On peut discuter du bien-fondé de cet investissement public, qui est une subvention indirecte à une future équipe de hockey professionnel, mais tout ça est de l'histoire ancienne. L'amphithéâtre est là, superbe et flambant neuf. Tout le monde est content.

Content ? Disons plutôt que la ville retient son souffle, car on ne sait pas encore si l'équipe rêvée et promise arrivera, ni quand, ni d'où. À tout le moins, le plan semble fonctionner. Il règne un optimisme de bon aloi.

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Il y a tout de même un os dans la saucisse à hot-dog. Depuis qu'on a construit ce superbe édifice, le dollar canadien a dégringolé. Et l'équipe en difficulté qu'on pensait acheter à vil prix a disparu. Il est question d'une équipe d'expansion payée au moins 500 millions en dollars américains, donc 661 millions en dollars canadiens.

En plein milieu de l'été, le président de Québecor Pierre Dion a diffusé un communiqué disant notamment ceci : « Dans le but de partager notre passion pour le sport, nous allons de plus entamer un processus afin d'intéresser et d'attirer des partenaires dans le cadre de notre démarche pour l'obtention d'une franchise d'équipe de hockey professionnelle. »

C'est très sympathique, ça, partager sa passion pour le sport, et personnellement, je ne m'en prive jamais.

Mais est-ce possible que la bouchée commence à être un peu grosse à avaler ? Acheter le club, payer les salaires (masse salariale entre 70 et 94 millions canadiens), payer les droits pour le nom... D'où cette idée qui commence à flotter... Et si le gouvernement du Québec était ce partenaire providentiel ?

Philippe Couillard a ouvert la porte à un partenariat financier l'an dernier pourvu que « les contribuables en tirent profit ». Il ne s'est pas avancé davantage. Le ministre Sam Hamad, de la région de Québec, est un enthousiaste du retour des Nordiques et manifestement favorable à une aide quelconque.

Du côté du Parti québécois (PQ), l'ancien ministre des Finances et porte-parole du PQ en la matière, Nicolas Marceau, a dit catégoriquement que l'État n'avait pas à subventionner cette équipe.

M. Péladeau a répété la même chose, mais a ajouté que « si la Caisse [de dépôt et placement] est éventuellement sollicitée et considère que ça peut être une bonne affaire, ce sera à eux autres comme dirigeants de le déterminer. [...] Si le promoteur de la candidature [...] souhaite solliciter les gestionnaires de fonds, c'est éventuellement une opportunité qui est offerte à ces entreprises qui sont des gestionnaires de fonds d'investir ».

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Tout cela dit sans la moindre gêne ni réserve. On se serait attendu à ce qu'il ne se prononce pas, au moins le temps qu'un semblant de paravent soit placé entre sa société et lui. Mais non : il parle du « promoteur », qui n'est autre que sa propre entreprise.

C'est son club après tout, non ?

Libre au propriétaire de plaider sa cause, bien entendu. Mais est-ce le chef de l'opposition qui parle ou le promoteur ? Il est évident que le montage financier de l'aventure l'intéresse personnellement au plus haut point. C'est un projet majeur pour son entreprise. Mais en même temps, comme chef du principal parti de l'opposition, il doit défendre l'intérêt public.

Pas de problème, ici, pour le propriétaire du plus grand empire médiatique au Québec ? Non ? Même pas l'ombre d'un petit scrupule ? On ne dirait pas.

C'est le parfait exemple de ce que Jean-François Lisée pointait l'an dernier comme un « problème », au risque d'être traité comme un hérétique et un paria dans son propre parti.

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Imaginons maintenant que le gouvernement libéral se retrouve devant le dilemme de devoir aider à financer les Nordiques, d'une manière ou d'une autre, ou de voir le projet foirer. Si Philippe Couillard refuse, ou si la Caisse refuse, le soupçonnera-t-on de manigancer une vengeance politique ? Que dira M. Péladeau ? Et si elle accepte, dira-t-on qu'elle le fait par crainte ?

Voilà illustrée mieux que jamais la situation d'inextricable conflit d'intérêts dans laquelle Pierre Karl Péladeau est placé. Et l'évidente nécessité d'une vraie fiducie sans droit de regard.

Voilà aussi la preuve que M. Péladeau n'a pas compris qu'il y a le début du commencement d'un quelconque problème.