Génocide culturel. Comment décrire autrement l'arrachement de 150 000 enfants à leur famille, sur une période de 120 ans ? Il ne suffit pas de sortir l'enfant de chez lui. Il faut « sortir l'Indien de chaque enfant », disait le Père de la Confédération John A. Macdonald.

Stephen Harper a présenté les excuses des Canadiens en 2008 pour les pensionnats autochtones. Mais sept ans plus tard, devant un rapport détaillé qui conclut à un génocide culturel, il préfère appeler cela de l'« assimilation forcée ».

A-t-il peur des conséquences juridiques ? Il n'y en a aucune. Un grand règlement a été signé par les Premières Nations, les communautés religieuses et le gouvernement. La commission Vérité et réconciliation qui vient de rendre son rapport est issue de ce règlement.

Alors pourquoi ne pas appeler cette chose par son nom ? Assimilation forcée, c'est encore trop doux.

Implanter des écoles où la langue autochtone est interdite, ce serait de l'assimilation forcée. Ou noyer une communauté démographiquement, pour qu'elle n'ait plus le choix que de se fondre. C'est ce que rêvaient de faire des disciples de Lord Durham avec les « Canadiens ».

Mais envoyer la police vider les villages de ses enfants, brûler leurs vêtements, couper leurs cheveux, les enfermer, les battre et les violer bien souvent, et surtout impunément... C'est bien plus que de l'assimilation forcée.

Il faut un terme plus fort pour reconnaître l'ampleur du désastre.

Que dirait-on d'un premier ministre turc qui refuserait le terme « génocide » après la tenue d'une commission d'enquête indépendante sur le massacre des Arméniens ? On dirait qu'il nie le passé, qu'il refuse de l'assumer.

Je ne compare pas le sort des Arméniens à celui des autochtones du Canada. Je note seulement combien il est facile de voir et de nommer les taches dans le passé historique des autres nations.

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Un vieil homme s'est présenté devant la commission avec une petite valise. Un Algonquin. Un témoin parmi presque 7000. Il avait gardé sa valise d'enfant. Et il a raconté cette journée du mois d'août en Abitibi où un hydravion s'est posé sur le lac. Des policiers en sont sortis.

Ils venaient chercher les enfants. Des enfants de 3, 4, 5 ans qui s'accrochaient à leur mère, qui criaient, pleuraient.

C'est ce témoignage qui a le plus marqué Renée Dupuis, qui est un des « témoins honoraires ». Elle n'est pas autochtone. Elle en a représenté comme avocate et elle a maintenant le mandat de... témoigner. De faire connaître cette histoire longtemps occultée.

Pourquoi ce témoignage plus qu'un autre, elle ne le sait pas. Mais cette petite valise d'enfant qu'il avait gardée toutes ces années comme seul souvenir, ça devenait très réel...

L'avion les emmenait vers la « civilisation ». Certains ont tenté de fuir. Beaucoup sont morts. On ne sait pas vraiment combien. Le taux de mortalité estimé des enfants autochtones en pensionnat (1 sur 25) était supérieur à celui des soldats canadiens mobilisés pendant la Seconde Guerre mondiale (1 sur 26). Déjà près de 32 000 ont été indemnisés pour des mauvais traitements physiques, sexuels.

Génération après génération, on a recommencé - de 1883 à 1986, le dernier ayant fermé en 1996.

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Une grande partie des recommandations portent sur l'éducation. L'éducation des autochtones, évidemment. Mais aussi celle des Canadiens en général.

Il n'y aura pas de soutien pour des actions de « réconciliation » s'il n'y a pas de sentiment de solidarité. Et il n'y aura pas de solidarité si ce passé n'est pas bien connu des Canadiens.

Pour fonder une quelconque action, pour regarder vers l'avant, autrement dit, il faut commencer par prendre acte de l'ampleur de « la tache la plus sombre » de l'histoire canadienne, comme a dit la semaine dernière la juge en chef de la Cour suprême, Beverley McLachlin. L'assimilation était le mot d'ordre de l'époque, a-t-elle noté. « Dans le langage du XXIe siècle, cela s'appelle un génocide culturel. »

La juge en chef a souligné « l'émouvante cérémonie » de 2008 au Parlement, dans laquelle le premier ministre a présenté ses excuses. L'héritage amer de l'intolérance n'en est pas moins très vivant.

Pour commencer, pour ouvrir la « réconciliation », le premier ministre devrait reconnaître pleinement la vérité historique. Et ça commence en utilisant les mots du XXIe siècle pour montrer qu'il prend acte de ce passé au nom du pays.