Avant de dire « va-t'en chez vous » à un type qui se propose d'investir 1,7 milliard, je suggère qu'on y pense à deux fois.

La première raison de ne pas rejeter le 15/40 trop vite, c'est qu'il pourrait très bien se faire ailleurs. Est-ce que la rue Sainte-Catherine se portera mieux si le promoteur s'installe au bord de la 440, ou ailleurs dans la couronne nord ? Est-ce que Montréal sera plus en santé en se privant de nouveaux revenus fiscaux (partagés 50-50 avec Mont-Royal) ?

Je ne suis pas particulièrement friand de ce genre de centre commercial. Mais dans la vie urbaine réelle de Montréal, on n'a pas le choix entre un développement organique OU le 15/40. Un promoteur a l'argent pour le faire. La question est de savoir si on le chasse de l'île de Montréal pour se faire croire qu'on protège le reste... ou si on l'accueille.

En vérité, d'ailleurs, l'affaire est quasiment réglée : le terrain, un reste de parc industriel, relève entièrement de Mont-Royal. L'autorisation est donnée par le conseil municipal et l'hôtel de ville de Montréal n'a aucun pouvoir là-dessus.

Mais admettons que le maire Coderre ait vraiment un mot à dire. Et qu'il dise « non ». Ce projet ira en banlieue. Il a tout pour la banlieue, il est fait pour la banlieue. Donc, au lieu de siphonner une clientèle de Laval, de Blainville, de la Rive-Sud même, on poussera tous les clients hors la ville.

Et après on braillera contre l'étalement urbain.

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Le fait est qu'un très grand nombre de jeunes familles dans la région vivent à plein dans ce mode de vie. Deux voitures, banlieue plus ou moins dortoir, courses en automobile, resto en automobile, soccer en automobile, hockey en automobile, école en automobile...

J'en vois qui grimacent et qui tapent du pied devant cette réalité platement nord-américaine.

Mais « ce monde-là », qui est le 450 et ce qui lui ressemble dans l'île, ne part pas chaque soir vers 18 h 30 avec un sac à l'épaule pour aller chez Latina. Ils prennent leur minivan en famille et si un p'tit dimanche matin du mois de mars, après le cours de banjo du plus vieux, ils peuvent aller se garer à l'abri pour aller dans une piscine à vagues et acheter des sandales, ça se peut qu'ils trouvent ça le fun...

La question n'est pas : trouvez-vous urbanistiquement correct ? Moral ? La question, c'est : voulez-vous absolument que ça se passe à Sainte-Thérèse ?

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Le projet « Royalmount » aura eu au moins un effet spectaculaire : Luc Ferrandez s'inquiète publiquement de circulation automobile et de la survie des commerces.

Le maire du Plateau a sans doute amélioré la qualité de vie des gens de son arrondissement. Il n'a pas été réélu pour rien. Mais souvenons-nous de ce qu'il disait des commerces : ceux dont l'achalandage est fondé sur les clients en automobile vont probablement souffrir... ou devoir déménager.

Le plan était séduisant, et dans une bonne mesure il a réussi : on fait ses courses à pied dans des commerces tout à fait uniques à proximité, dans des rues plus tranquilles.

Mais dans certains segments, l'avenue du Mont-Royal ressemble plus à un gros Dunkin Donuts qu'à un petit Copenhague. On accusera la transformation du commerce de détail, l'économie, tout ce qu'on voudra. Il n'en reste pas moins que les entraves à la circulation et au parking nuisent à plein de commerces. Les revenus de parcomètre augmentent ? Évidemment ! Si vous voulez rendre visite à un ami sur le Plateau, il n'y a plus guère que les rues commerciales pour stationner.

J'ai été bien heureux de l'entendre dire que son parti serait moins hostile à l'automobile, et qu'il faudrait intégrer une politique intelligente de parking pour la nouvelle rue Sainte-Catherine.

C'est ça, ou un déclin plus certain et plus rapide.

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Il y a plusieurs problèmes dans ce projet. Notamment la concurrence d'une nouvelle salle de spectacle de 3000 places au moment où l'on déploie une des belles réussites de Montréal : le Quartier des spectacles.

Il y a aussi le nom. « Royalmount », ça fait 1912. Mais franchement, dans le genre, c'est loin d'être horrible, comme le disait mon estimé collègue Cardinal hier. C'est même plutôt très bien pensé.

Chaque jour, des gens d'Ahuntsic, d'Outremont, de Mont-Royal, de Saint-Laurent, se rendent à Laval pour magasiner. On rapporte même  - ça fait mal, je sais - que des gens du Plateau prennent le pont Jacques-Cartier dans des voitures aux vitres teintées pour aller au DIX30. Ils ne trouvent ce qu'ils cherchent ni au marché Central, ni au centre-ville, ni aux Galeries d'Anjou.

Un homme qui n'a pas vraiment l'air du père Noël pense qu'il peut faire des profits en installant un concurrent, plus axé sur le divertissement.

C'est vrai, c'est un risque pour la rue Sainte-Catherine. Ça peut aussi être une occasion de stimuler sur la vieille artère un concept très éloigné de tous ces centres, justement. D'affirmer le caractère unique du centre-ville de Montréal.

Au lieu de voir cette concurrence comme une menace, je la vois plutôt comme une chance.