Dans ce pays, aux dernières nouvelles, un accusé est présumé innocent. Et sauf exception, en attendant son procès, il demeure en liberté. Même s'il est accusé de crimes qui justifieront éventuellement une peine de prison.

On dirait pourtant qu'un juge de la Cour municipale a décidé de renverser cette règle pour les étudiants de l'UQAM. Hamza Babou a été arrêté la semaine dernière pour diverses infractions liées aux «levées de cours» et à la grève étudiante. Il est en prison depuis une semaine et le juge Denis Laberge a refusé de le mettre en liberté en attendant son procès.

Il est vrai qu'à première vue, le cas paraît assez lourd: voies de fait, agression armée, méfait, menaces, harcèlement criminel...

Sans prendre à la légère les accusations, il faut savoir que pousser quelqu'un avec une pancarte peut constituer une agression armée. Il n'est pas question d'arme à feu, ici, ni de couteau, ni de danger de mort.

Ensuite, la procureure de la Poursuite a décidé de porter des accusations «par voie sommaire» plutôt que par voie criminelle. La nuance peut paraître purement technique; elle indique pourtant une appréciation de la gravité des actes. Par voie sommaire, dans ce cas-ci, la peine maximale est de 18 mois de prison. Par voie criminelle, les peines maximales pour les mêmes infractions seraient de 10 ans.

Hamza Babou n'a pas d'antécédents judiciaires. C'est un jeune homme qui a fini son secondaire aux cours aux adultes et qui a réussi s'inscrire en sociologie de l'Université du Québec à Montréal.

Il s'est embarqué à fond dans le conflit. On peut juger sévèrement les actions des hurleurs et leveurs de cours, et ceux qui m'ont lu savent ce que j'en pense.

Mais la question n'est pas là. La question est judiciaire et très simple: la procureure de l'État a-t-elle démontré que cet étudiant doit être détenu en attendant son procès?

Il me semble que non.

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La loi prévoit trois motifs pour maintenir un prévenu sous garde. Est-il dangereux pour la sécurité publique? Selon les critères habituels, évidemment non. S'agissant d'un étudiant qui renonce à se présenter à l'UQAM pendant la durée de l'affaire, en plus, difficile de dire oui.

Deuxièmement: risque-t-il de fuir la justice? Rien ne l'indique. Il a un domicile connu.

Troisièmement, ce fameux critère de la confiance du public. Je rappelle que dans le cas de Guy Turcotte, on a jugé que la confiance du public «bien informé» ne serait pas affectée par sa libération provisoire; qui plus est, Turcotte est accusé de meurtres et, dans ces cas, le fardeau est renversé: c'est à l'accusé de justifier sa mise en liberté.

C'est sur ce troisième critère que le juge Laberge a décidé de maintenir la détention de l'étudiant. Disant que Babou est impliqué «dans une croisade» et que l'UQAM «semble débordée», le juge a accusé Babou de ne pas respecter l'injonction obtenue par l'UQAM. Il n'est pourtant nullement accusé de cela.

Si on le libère en attendant son procès, un «public bien informé» dira que «la justice n'arrive à rien», a dit le juge. Mieux: «l'opinion publique serait découragée» et conclurait que «la Cour municipale n'arrive à rien».

Bizarre d'affirmation. Un public bien informé comprendrait pourtant que l'étudiant n'est pas acquitté parce qu'il est en liberté en attendant d'être jugé. Le travail du juge ne consiste pas à paraître «arriver à quelque chose». Mais de traiter les accusés selon la loi. Ça ne devrait décourager que les gens... mal informés.

Même s'il insiste pour dire qu'il ne veut pas faire un exemple du cas de cet étudiant, tout transpire le contraire dans la décision de ce juge.

Ce n'est pas sans rappeler la réaction épidermique qui a mené à la condamnation (heureusement annulée) de Gabriel Nadeau-Dubois pour encouragement à l'outrage au tribunal, après le conflit de 2012. Babou a eu l'imprudence d'être un des «non-masqués». Il paie clairement pour les autres. Pas en étant accusé. En ne bénéficiant pas de la liberté provisoire.

Dans le cas d'accusations sommaires, pour un accusé sans passé criminel, dans un contexte de lutte politique qui déborde, le dépôt d'une première série d'accusations était déjà plus qu'un avertissement. S'il avait manqué à ses engagements futurs, on aurait eu des raisons de l'emprisonner.

Mais là? C'est exagéré. Prématuré. D'une légalité peu convaincante.

Tout ça dégage une désagréable odeur de punition collective sur fond d'orgueil judiciaire froissé. On a fabriqué un beau petit martyr pour la cause.

C'est curieux, quand ils en mettent trop, j'ai parfois l'impression que certains juges n'ont pas confiance dans les voies normales de la justice. L'anarchie n'est pourtant pas encore à nos portes, allons, ne soyons pas «découragés».

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