Dans cette histoire de vieille dame détroussée «légalement», il y a ceux qui ont pris l'argent. Et il y a ceux qui ont laissé faire.

Résumons. Une dame de 90 ans se rend à la banque un beau matin de janvier 2014: son compte est vide. Autre banque: compte vide aussi. On vient la chercher contre son gré. On l'emprisonne dans un appartement verrouillé. Elle a été placée sous mandat et déclarée alzheimer par la cour, sans que quiconque l'en informe. Heureusement qu'elle ne l'est pas: elle réussit à s'enfuir, en plein hiver, en robe de chambre, avec son ambulateur, et à alerter la police.

Je ne reprends pas les détails, j'ai raconté tout ça hier dans La Presse.

Première question: comment se fait-il que cette dame parfaitement lucide n'a jamais été interrogée par le greffier qui l'a déclarée incapable?

Le Code de procédure civile dit pourtant qu'une personne en faveur de qui on veut faire homologuer un mandat «doit être interrogée par le juge, le greffier ou le notaire, à moins qu'il ne soit manifestement déraisonnable d'entendre son témoignage en raison de son état de santé».

On vise les cas de coma ou d'état neurovégétatif, me dit le notaire Michel Beauchamp. La personne doit toujours être interrogée.

La raison est évidente: en homologuant un mandat, on va priver la personne du droit de prendre toutes les décisions sur sa vie. La moindre des choses est de corroborer minimalement ce qui est écrit dans le rapport psychosocial et le rapport du médecin. On sait que dans le cas de Mme Piela, ce qu'a écrit la travailleuse sociale Alissa Kerner était de la foutaise - elle a d'ailleurs été radiée d'urgence de son ordre professionnel pour cela (seule accusation dans ce dossier jusqu'ici). Le rapport médical de la Dre Lindsay Goldsmith la déclarant alzheimer finie, il ne tient pas la route non plus.

Si, comme moi, ce greffier avait rencontré Mme Piela plus de cinq minutes, il s'en serait rendu compte!

«Malheureusement, en pratique, les greffiers dispensent l'interrogatoire dans la grande majorité des cas, et ce, à la simple lecture des expertises qui, souvent, datent de plusieurs mois», m'écrit le notaire Beauchamp. Apparemment, dans certains districts, on ne fait jamais d'interrogatoires.

«Dans ma pratique, j'ai souvent vu des cas où le majeur, selon l'expertise psychosociale, ne pouvait s'exprimer, mais où, lors de l'interrogatoire, le majeur a parlé pendant plus de 20 minutes!»

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Deuxième question: comment se fait-il que, muni du mandat d'inaptitude, l'avocat Charles Gelber ait pu retirer tout l'argent de deux comptes sans qu'on tente de joindre Mme Piela? Banque Scotia? Allez, hop, un chèque de 283 349,14$ pour l'avocat. Banque Royale? Un p'tit chèque de 190 213,82$.

Ces banquiers-là connaissent-ils leurs clients? Ils ne veulent pas voir la titulaire du compte avant de le vider de centaines de milliers de dollars?

Bravo pour le service à la clientèle!

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Troisièmement: ça va prendre combien de juges pendant combien d'années avant qu'on rende l'argent à cette dame?

En ce moment, le mandat confié à la fausse nièce a été jugé «faux» par un expert de la police de Montréal: il repose sur une évaluation farfelue de l'état mental de Mme Piela, une sommité du Centre de santé McGill confirmant son aptitude et son excellente mémoire. On sait que les évaluations contiennent des faussetés - le Curateur public estime que Mme Piela est parfaitement apte - et que «des irrégularités» ont été commises. Bref, «on a des raisons de douter de sa validité», me dit l'avocate Nicole Filion, directrice des affaires juridiques du Curateur, qui n'a «jamais vu une affaire semblable en 15 ans».

Mais... ce mandat n'a toujours pas été annulé par la cour!

Les faits sont «tels qu'un roman pourrait en résulter», écrivait pourtant en juillet 2014 la juge Claude Dallaire. En effet! Sauf qu'au moins quatre juges sont passés dans ce dossier sans que ce soit réglé.

En septembre, la cause pour faire annuler le mandat a commencé à être entendue. La fausse nièce, Anita Obodzinski, s'y oppose. Et tout s'enfonce dans les procédures sous la responsabilité de la juge Hélène Langlois.

Obodzinski n'a même plus le droit d'être en contact avec Mme Piela, par ordre d'un autre juge de la cour! De quoi débat-on au juste? Y a-t-il la moindre chance que le mandat soit confirmé? Ce serait évidemment absurde: on n'imagine pas que cette fausse nièce se fasse confier à nouveau la gestion des affaires de sa victime.

Et puis, quel «droit» au juste possède un mandataire qui est rejeté par la personne qu'elle est censée protéger?

Tout ce débat juridique se fait aux dépens d'une femme de 91 ans. Ce qui reste de son argent (les deux tiers sont confirmés) est en sécurité, sous gestion du Curateur public, qui paie son loyer, veille à ses besoins, en attendant qu'elle soit libérée de ce mandat.

Mais elle a 91 ans! Il n'y a pas seulement apparence de malversation. Il y a urgence. Combien de temps va-t-elle devoir attendre ces avocasseries avant d'avoir la pleine gestion de son patrimoine?

Lui donnera-t-on un beau jugement posthume?

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Pour joindre notre chroniqueur yves.boisvert@lapresse.ca