On n'avait pas sitôt rouvert les robinets à Longueuil qu'il en est sorti une avocasserie.

Au nom de quelques citoyens, l'avocat Jacky-Éric Salvant a déposé hier un recours collectif réclamant 100$ pour chacun des quelque 300 000 citoyens desservis par l'usine de filtration de Longueuil.

Pourquoi si vite? Parce qu'on a «assez d'éléments», a dit l'avocat. Il identifie une «faute majeure»: le retard de la Ville à communiquer le problème aux autorités environnementales et aux citoyens. L'avis de non-consommation a en effet beaucoup tardé et les moyens pour le communiquer ont fait défaut. Il en a résulté divers inconvénients - inconforts, stress. L'avocat nous dit même qu'un citoyen a vu ses deux chiens mourir après avoir consommé de l'eau de Longueuil.

On ne sait pas si un juge autorisera ce recours, et encore moins s'il aura du succès. Mais voilà exactement le genre de poursuite qui profite surtout à une personne: l'avocat qui s'occupe du dossier.

***

Ce n'est pas seulement parce que «tous les éléments» ont été rassemblés que ce recours a été déposé si rapidement. Dans le merveilleux monde du recours collectif, c'est premier arrivé, premier servi. On veut éviter la multiplication des recours. Aussi, dès qu'un est déposé, il bloque l'arrivée des autres.

Imaginons un instant que le recours soit accueilli tel quel. Quelle serait la suite? La Ville envoie un chèque de 100$ à chaque citoyen? Et d'où proviendrait cette somme? Ou bien des assurances de la Ville, ou bien du budget de la municipalité, bien entendu. Les Villes n'ayant pas le droit de faire de déficit, Longueuil devrait soit emprunter, soit augmenter l'impôt foncier, soit comprimer les dépenses. Si la somme est couverte par les assurances, la Ville verra sa prime augmenter. Et dans tous les cas, les frais juridiques seront payés par la Ville.

Quand un citoyen ou un groupe de citoyens précis est victime d'une faute ou d'un abus de la Ville, la poursuite a un sens: la Ville, comme entité, dédommage un groupe cible.

Mais si tous sont également «victimes» de la Ville, c'est comme si les citoyens se devaient de l'argent à eux-mêmes.

Ce genre de poursuite, de toute manière, est loin d'être gagnée d'avance. En cas de succès, les sommes individuelles sont minimes. Par contre, les honoraires des avocats sont assez conséquents. Si bien qu'on trouve ici et là des cabinets spécialisés dans le recours collectif qui y investissent temps et argent, en pariant sur un retour au moment de la conclusion du dossier.

***

Tout ça pour dire que certains recours collectifs génèrent peu de justice pour les citoyens et beaucoup d'honoraires pour les avocats.

Le fondement du recours collectif est de permettre de redresser des torts dans des situations où les poursuites individuelles sont peu pratiques ou illusoires.

Quand un grand groupe est victime d'une faute, on veut éviter des centaines de poursuites séparées et coûteuses en regroupant l'expertise - comme dans le cas des fabricants d'implants mammaires. Il y a aussi les cas où, pris individuellement, ces recours seraient insignifiants et ne justifieraient pas une action en justice. Les cas de fixation illégale de prix de vitamines, où le consommateur paie quelques cents de trop par transaction, illustrent ce type de cas: une violation de la concurrence par des pharmaceutiques justifie une «punition» judiciaire en argent sonnant, mais personne ne poursuivra pour réclamer 2,34$. Si des millions de personnes ont été «volées» au fil des ans, par contre, on peut arriver à une somme collective importante. En pareil cas, on condamnera au versement à un organisme d'intérêt public.

Mais quand je vois un recours collectif contre la SAQ parce qu'elle aurait une marge de profit trop élevée sur les vins bas de gamme (poursuite rejetée), je me dis que le recours a été un peu contaminé lui aussi...

On se souvient aussi du méga-recours (heureusement rejeté) de 2 milliards contre toutes les municipalités de l'île de Montréal pour avoir fait défaut d'éliminer l'herbe à poux...

Dans le cas de l'eau à Longueuil, les citoyens se poursuivent eux-mêmes sans le savoir avant même la conclusion de l'enquête. L'intérêt public ne sera pas servi par une solution judiciaire, mais bien par les sanctions disciplinaires contre les fautifs - s'il y en a. Et éventuellement une sanction politique aux prochaines élections, si jamais on met en défaut l'administration St-Hilaire.

Bonne chance à tous d'ici là à la roulette judiciaire.