Ce pays est-il en train de devenir fou? En deux semaines, la bêtise d'une douzaine d'étudiants en médecine dentaire de Nouvelle-Écosse est devenue une affaire nationale.

On ne connaît que quelques horreurs misogynes écrites sur une page Facebook «privée» de groupe, depuis effacée. Pas grave! C'est à qui réclamera la sanction la plus exemplaire.

Une pétition de 42 000 personnes réclame leur expulsion du campus. L'ordre des dentistes de l'Alberta, comme celui de l'Ontario, réclame leurs noms, au cas où ils décrocheraient leur diplôme et tenteraient d'aller exercer dans ces provinces. De partout, on pourfend la direction de l'université: on veut que les têtes roulent, que les noms soient placardés sur la place publique. On veut que «justice» soit faite, en somme.

Il n'y a pourtant rien de moins «juste» que de punir instantanément, sans vérifier les faits, leur gravité, l'implication de chacun, etc.

Ce qu'on sait jusqu'à présent, c'est qu'un groupe de 13 jeunes hommes, finissants en médecine dentaire, avait sa page Facebook intitulée «Class DDS 2015 Gentlemen». Ce qu'on sait également, c'est qu'on n'a plus les gentlemen qu'on avait. Certains ont suggéré l'utilisation de chloroforme sur des femmes à des fins sexuelles; un autre a demandé au groupe de nommer l'étudiante avec laquelle ils voudraient avoir du «hate sex»; un autre, enfin, estime que le pénis est un outil utile pour «transformer les lesbiennes et les vierges en membres productifs de la société».

Pas très joli. Très sérieux, même. Il y a assurément de quoi faire enquête et, éventuellement, de quoi sévir.

Mais comme pour n'importe quelle faute, la punition doit être proportionnelle à la gravité du geste. Et elle doit tenir compte du contexte. Des gens impliqués.

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Toutes les universités ont leur code de conduite. Un manquement peut entraîner une suspension et même l'expulsion. Mais le processus est toujours confidentiel et doit le rester.

Un processus confidentiel n'est pas une justice «en catimini». C'est un processus disciplinaire administratif privé entre l'établissement et l'étudiant, qu'il s'agisse de plagiat ou d'inconduite. On n'est pas obligé d'écraser en public et pour l'éternité un étudiant fautif pour «obtenir justice»...

Que l'on sache, il ne s'agit pas d'une affaire pénale dont se serait saisie la justice. Aussi dégradants qu'ils soient, ces propos ne sont pas de nature criminelle. On ne parle pas d'un complot pour agression sexuelle, de menaces ou d'incitation.

Le cas est donc très différent de ceux de membres d'équipes sportives universitaires accusés d'agressions diverses devant la cour.

Quelle devrait être la sanction? Peut-être faudrait-il commencer par examiner les faits...

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Le recteur a dénoncé sur tous les tons le contenu de cette page Facebook. Mais il semble que pour paraître sincère, il faudrait qu'il publie la photo des étudiants et les expulse pour toujours de l'université.

En ce moment, les 13 sont suspendus de la clinique dentaire - nécessaire à l'obtention de leur diplôme. L'université a déclenché un processus de «justice réparatrice». Cela consiste en une série de rencontres où toutes les parties impliquées échangent volontairement dans un cadre assez serré. Les étudiantes visées sur la page sont libres ou non d'y participer. Ça peut sembler bien ésotérique, mais c'est au contraire une forme de justice alternative, intelligente, qui a fait ses preuves dans bien des cas.

Après? Après, on verra. L'ordre des dentistes de la Nouvelle-Écosse a déjà prévenu qu'il pourrait refuser ces futurs dentistes, si jamais ils obtiennent leur diplôme. Remarquez le sublime opportunisme des ordres professionnels, trop heureux de se dépouiller de leur réputation de complaisance...

Certains des 13, maintenant désignés dans tout le pays comme des salauds et des violeurs en puissance, sont au bord du suicide, a fait savoir le recteur.

Ça commence à faire pas mal épais déjà comme conséquences. Ils ont couru après, dites-vous? Je ne pense pas qu'ils aient à payer pour toutes les agressions non dénoncées, tous les Jian Ghomeshi et toute la misogynie du monde.

Il ne suffit pas de dénoncer la «culture du viol» pour faire voler en éclats toute notion de modération ou tout processus et réclamer la peine de mort professionnelle.

Il est temps de laisser les gens de l'université faire la lumière sur tout ça, calmement, à l'abri des pétitions et des médias, mettre les choses dans leur juste perspective et tirer des conclusions à peu près justes pour tout le monde. Si c'est encore possible.