On croyait la question réglée depuis la commission Bastarache, mais voilà que survient cette histoire bizarre de nomination de juge à Québec.

La commission Bastarache, je le rappelle, avait été créée par le gouvernement Charest en réaction à une allégation de l'ex-ministre de la Justice libéral Marc Bellemare, qui prétendait avoir subi des pressions au sujet de nominations à la magistrature. C'était aussi (surtout) une tentative de diversion pour ne pas déclencher une commission d'enquête, que tout le monde réclamait, sur la corruption dans l'industrie de la construction et ses liens avec le financement politique.

Quoi qu'il en soit de sa pertinence, cette commission a tout de même énoncé des recommandations utiles. Le gouvernement libéral a été forcé d'adopter en 2012 un nouveau règlement sur la procédure de sélection des juges, plus transparent et surtout dépolitisé.

Depuis son entrée en vigueur, le Parti québécois a pris le pouvoir et a effectué un grand nombre de nominations, toutes bien reçues. Mais voilà que survient la première controverse, tout juste au moment où la nouvelle ministre de la Justice libérale arrive en poste.

Pour la première fois, un concours de sélection a été annulé et un nouveau concours a été lancé pour un poste de juge à la chambre criminelle de la Cour du Québec, dans le district de Québec.

Avant d'en arriver là, voyons quelle est cette nouvelle procédure.

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Désormais, un comité de cinq personnes se réunit pour sélectionner les candidats chaque fois qu'un poste s'ouvre: un juge nommé par le juge en chef de la Cour du Québec, deux personnes nommées par le barreau, dont un avocat, et deux non-juristes nommées par l'Office des professions.

Ce comité, à la majorité, dresse une liste des trois meilleurs candidats, avec «une appréciation personnalisée» de chacun. La liste est soumise au ministre, qui fait son choix.

Si le comité est d'avis qu'il n'y a pas trois candidats aptes à devenir juges, il doit expliquer pourquoi par écrit.

Le ministre doit choisir à même les trois candidats sélectionnés. Il a toujours le loisir de refuser la liste, si c'est «dans le meilleur intérêt de la justice». Il doit alors demander au comité de suggérer d'autres noms. Si le comité refuse, ou si le ministre n'est pas satisfait, il peut annuler le premier concours et en déclencher un deuxième.

Tous les candidats ayant postulé au premier concours sont alors exclus du second, y compris les candidats sélectionnés, a dit hier une porte-parole de la ministre.

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Revenons donc au poste de juge de Québec. Selon le Journal de Québec, le premier concours n'aurait donné lieu qu'à neuf candidatures. Parmi ces candidatures, un des procureurs de la poursuite les plus en vue au Québec, Steve Magnan. Plusieurs sources confirment que Me Magnan a été sélectionné comme candidat. Il semble qu'il ait été le seul retenu par le comité.

La ministre Stéphanie Vallée n'a pas apprécié - on ignore pourquoi. Elle a rappelé le président du comité pour demander d'autres noms, comme le permet le règlement. Le président a refusé, comme il en a le droit. Et ensuite, tout ce qu'on sait, c'est qu'un nouveau concours a été lancé.

Quand on interroge la ministre Vallée, elle se contente de dire que tout est confidentiel et cite le motif du «meilleur intérêt de la justice». On veut bien, mais il est possible de donner un motif sans nommer qui que ce soit. Au Royaume-Uni, où la procédure a été très encadrée - au point que le ministre se fait imposer un candidat par le comité -, le ministre est obligé de justifier par écrit son refus, le cas échéant.

On en est donc réduit à faire des hypothèses. Parmi les raisons «possibles» et purement «théoriques», l'attachée de presse de la ministre cite la violation de la confidentialité, le fait que le candidat échoue au contrôle de sécurité, son refus, l'absence de candidat suffisamment compétent, etc.

Il est très douteux que Me Magnan ait échoué à l'habilitation sécuritaire ou ne soit pas compétent: il a été promu entre-temps directeur adjoint aux poursuites criminelles et pénales. Un poste névralgique dans l'administration de la justice criminelle. Y a-t-il eu violation de la confidentialité? C'est manifestement le cas maintenant, mais un candidat doit-il être puni parce qu'un membre du comité - par exemple - a parlé? On ne connaît par ailleurs aucune affiliation politique au candidat Magnan, qui a fait presque toute sa carrière à la Couronne...

Comme la ministre refuse de s'expliquer, même très vaguement, c'est le processus qui est entaché. Le processus est suffisamment lourd, on mobilise cinq personnes compétentes hors des sentiers politiques; la ministre ne devrait pas pouvoir en rejeter les conclusions sans avoir à s'expliquer.

Elle a peut-être de bonnes raisons, mais tant qu'on ne les connaît pas, tout ceci a des relents d'arbitraire.

Si elle ne donne pas ces explications, le règlement devrait l'y obliger.

Pour joindre notre chroniqueur: yves.boisvert@lapresse.ca