Après une journée où Tony Accurso a pu s'installer confortablement, se raconter et donner sa version, on pensait que l'interrogatoire allait commencer pour vrai hier.

Eh ben non. Faudra attendre.

Quelle étrange stratégie que celle de la procureure Sonia Lebel. On pose une question au témoin. Puis, pour le mettre en contradiction, on fait entendre une conversation... entre deux autres personnes.

Exemple: avez-vous de l'influence lors du choix des dirigeants de la FTQ-Construction? Réponse: non, les entrepreneurs ne se mêlent pas de ça, ça reste entre syndiqués. On fait entendre une conversation entre Jocelyn Dupuis et un certain «Bob». Dupuis dit à Bob qu'il aimerait bien voir la face d'Accurso après le résultat d'une élection (vu que le groupe de son ami Jean Lavallée avait perdu).

Question de la procureure: pourquoi Jocelyn Dupuis dit-il ça, si vous n'avez aucune influence?

Faudrait demander à Dupuis, non? Quoi qu'il en soit, ce n'est pas très difficile pour le témoin de s'en tirer en disant qu'il ne sait pas pourquoi Dupuis a dit ça. Peut-être parce que son amitié avec Lavallée est connue et que ce qui fait de la peine à son ami lui fait de la peine aussi...

Comme piège à témoin, ce n'est pas fameux!

Mieux encore. Accurso dit: au fait, qui est ce «Bob» ? Laissez faire! Ce n'est pas important! , réplique la commissaire Charbonneau.

Ah bon? Pardonnez-moi, mais il me semble que si l'on veut confronter un témoin à une conversation entre Jocelyn Dupuis et un certain Bob, ce n'est pas tout à fait ridicule de savoir qui est Bob. Ça peut expliquer les paroles, le contexte, etc. Mais non! Pas important. (Ce n'est que plus tard que la procureure a dit qui était ce Bob.)

***

Le procédé s'est répété une douzaine de fois. Une question. On annonce une écoute. J'avance au bout de ma chaise... Entendra-t-on Accurso cette fois se contredire au bout du fil? Pas du tout.

Y aura-t-il alors une des deux personnes qui dira: Accurso m'a dit ceci... Ou: j'ai vu Accurso faire cela... Ou même untel l'a entendu dire x? Même pas.

Que des commentaires, des hypothèses, des opinions de tiers.

Le procédé serait illégal dans n'importe quelle cour de justice. La raison est très simple: on ne peut pas utiliser les commentaires d'autres personnes pour mettre un témoin en contradiction. On ne connaît pas leurs motifs, on ne sait pas s'ils mentent, s'ils bluffent (on a une joyeuse collection de cas douteux, à commencer par Dupuis).

C'est vrai, on est devant une commission d'enquête, les règles doivent être moins rigides que devant les tribunaux. Ça me va. Je n'ai pas de problème avec ça.

Mais qu'au moins, si on étire les règles, ce soit pour arriver à un résultat!

S'il est interdit de confronter un témoin avec les conversations d'un tiers dans un procès «ordinaire», ce n'est pas seulement parce que c'est déloyal. C'est aussi parce que c'est très faible. C'est de la preuve de catégorie C. Ce que dit Dupuis à tous les Bob du monde, ce n'est pas du matériel solide pour prouver quoi que ce soit. Ni très menaçant pour le témoin Accurso.

Bref, ce n'est pas comme ça qu'on obtiendra de l'information ou qu'on ébranlera Accurso. Ça se passe très bien pour lui en ce moment et on n'a rien appris qu'on ne savait pas.

Ah si! Son père a été condamné pour collusion en 1964! Tel père tel fils, c'est ça l'idée? Ce qu'a fait le père d'un témoin quand il avait 13 ans est certes intéressant journalistiquement parlant. Mais on prouve quoi, avec ça? Les Rizzuto étaient «un petit contact». Mais encore?

Troisième journée de témoignage ce matin. Il serait temps que la Commission arrive avec du solide pour faire parler Tony Accurso. Jusqu'ici, ce n'est que le roi déchu de la construction. Il est censé avoir été le roi de la collusion et de la corruption, il en est même accusé dans trois instances.

La Commission devrait être équipée pour nous le montrer.

Pour joindre notre chroniqueur : yves.boisvert@lapresse.ca