En 2003, la Caisse de dépôt et placement du Québec a investi 7 millions dans une obscure société ferroviaire américaine de taille modeste, la Montreal Maine&Atlantic. La caisse a acquis ainsi 12,7% des actions. Elle lui a en outre prêté 7,7 millions, qu'elle a récupérés quelques années plus tard.

Le transport ferroviaire a eu ses belles années, mais la récession de 2008 a fait s'écrouler la valeur de cet investissement virtuellement à zéro.

Ensuite, ce furent des années de redressement pour le propriétaire principal, Ed Burkhardt. Des années de compressions des dépenses et de laisser-aller.

MMA avait un conseil d'administration, où siégeait un ancien gestionnaire du CN, nommé par la Caisse.

La question qui se pose: devant une valeur à peu près nulle, le conseil a-t-il fermé les yeux sur l'absence complète de «culture de la sécurité» un peu sérieuse, comme le constate le rapport du Bureau de la sécurité des transports?

On comprend bien que ce ne sont pas les gens de la Caisse qui installent les freins et vérifient la marchandise. Mais tout de même, avant d'en arriver à ce degré de décrépitude, MMA a dû faire avaliser deux ou trois «orientations» par son C.A., non?

Le BST nous le dit assez clairement: les rails étaient entretenus le moins possible. On tolérait une usure bien supérieure aux normes de l'industrie. La formation des employés était sur le mode minimal. La surveillance aussi, ça va de soi...

En 2009, MMA demande et obtient la permission de ne laisser qu'un seul mécanicien à bord. Contrairement aux autres sociétés qui ont obtenu cette permission ailleurs en Amérique du Nord, MMA n'a pas compensé par des mécanismes technologiques plus sécuritaires. Ses trains étaient parfois laissés sans surveillance des nuits entières. Les réparations ressemblaient à du rafistolage, bien en deçà des normes de l'industrie. Etc.

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Le porte-parole de la Caisse, Maxime Chagnon, insiste: des 18 facteurs ayant causé la tragédie y ayant contribué, la plupart sont «opérationnels»: le nombre de freins, la façon dont ils ont été installés, l'incendie de la locomotive, l'absence de surveillance, etc.

La liste fait pourtant état de la «faible culture de sécurité». En bon français, cela veut dire que MMA a grossièrement négligé la sécurité pour diminuer ses coûts. Le rapport l'établit clairement.

Impossible hier de parler à M. Yves Bourdon, membre du C.A. nommé par la Caisse. Quelles informations a-t-il obtenues? Que savait-il vraiment? Quelle sorte de surveillance a-t-il pu exercer?

Au moment même où MMA négligeait l'entretien, éliminait des postes et prenait plus de risques sur le dos du public, elle se lançait dans le transport du pétrole. Une aventure relativement nouvelle et prometteuse, puisque les volumes transportés ont augmenté à un rythme fulgurant.

On sait maintenant que le pétrole était plus inflammable que ne l'affichaient les wagons-citernes. On sait surtout que ces citernes sont non sécuritaires pour ce type de pétrole.

Bref, on sait que MMA a joué avec le feu. Et que 47 vies ont été réduites en cendres.

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Facile à dire après coup, n'est-ce pas? Sans doute.

Plus facile encore de se cacher derrière le «voile corporatif». Que voulez-vous, les actionnaires ont une responsabilité limitée, ils ne sont pas sur le terrain! Leur arrive-t-il de ne pas vouloir en savoir trop, devant la promesse d'un rendement? Ça s'est vu déjà, non?

On est bien obligé de constater qu'on a laissé aller Burckhardt. S'est-on retenu, vu qu'il y avait un peu de notre argent, dans ce train de la mort?

La Caisse a rapidement exposé sa participation, après la tragédie. Elle a aussi envoyé des équipes d'immobilier pour aider Lac-Mégantic. N'empêche: de la Caisse, on attend qu'elle ne s'associe pas trop avec des vendeurs de chars d'occasion, qui laissent leur matériel s'écrouler et qui sont les plus surpris du monde quand ils créent une catastrophe.

On a fait tomber les foudres de la justice sur les fautifs «opérationnels». Ils ne sont peut-être pas irréprochables. Ils sont surtout au bout visible de la lourde chaîne de responsabilités. Responsabilités assez bien détaillées dans le rapport du BST.

Faut-il retirer les accusations contre le mécanicien Thomas Harding et ses deux collègues, comme le réclamait hier la FTQ?

Il faut à tout le moins demander d'autres explications à ceux, anonymes, qui devaient surveiller et qui ne sont nulle part aujourd'hui.