Quoi? Guy Turcotte veut retrouver sa liberté?? En attendant son deuxième procès?

Comme d'habitude, tout ce qui concerne l'ancien cardiologue apparaît aberrant, incroyable, inusité et choquant.

Il n'y a pourtant rien d'exceptionnel à ce qu'une personne accusée de meurtre demande sa mise en liberté en attendant son procès. Il est plutôt rare que ça réussisse. Mais on connaît de nombreux cas de personnes qui sont demeurées en liberté en attendant leur procès pour meurtre.

De nombreux cas... Y compris pour des meurtres d'enfants. Adèle Sorella, condamnée pour le meurtre par asphyxie de ses deux enfants, a été en liberté jusqu'à ce qu'un jury la déclare coupable l'an dernier. Cathie Gauthier, à Saguenay, avait également obtenu cette mise en liberté en attendant d'être jugée pour le meurtre de ses trois enfants pendant un pacte de suicide. La libération a été révoquée quand elle a fait une tentative de suicide. Éric Grenier, coupable du meurtre non prémédité d'un enfant de 4 ans, était aussi en liberté pendant son procès.

On peut ajouter les cas de l'ex-juge Jacques Delisle et de nombreux autres.

Il n'en reste pas moins que pour une accusation de meurtre, la règle, c'est l'emprisonnement préventif. C'est à l'accusé de démontrer qu'il peut être remis en liberté - un fardeau qui est celui de la poursuite pour les accusations les moins graves.

Le danger

L'accusé doit répondre à trois critères. Premièrement, Guy Turcotte doit démontrer qu'il ne tentera pas de fuir la justice. C'est le plus facile à satisfaire pour cet accusé. Après son séjour en institut psychiatrique, il a bénéficié d'une libération «sous conditions» pendant neuf mois - jusqu'au jugement ordonnant un nouveau procès, en novembre 2013. Il s'est conformé aux règles, n'a pas donné de signe de vouloir disparaître, il n'a pas de passeport et n'irait pas bien loin.

Le deuxième critère est plus difficile, mais loin d'être insurmontable pour Turcotte: l'accusé doit démontrer qu'il ne représente pas, aujourd'hui, un danger pour le public - ou les témoins, ou quiconque.

Turcotte a passé ce test à l'Institut Pinel, puisqu'on lui a accordé sa libération. On n'a rapporté aucun incident. Certains experts ont dit aux commissaires chargés de décider de sa liberté que l'ex-médecin demeure un homme très fragile, susceptible de commettre un autre acte criminel violent, et qu'il n'a pas subi de véritable thérapie. Leur témoignage n'a pas été retenu. Les commissaires ont plutôt adhéré, après un premier refus, à la thèse voulant qu'il ne représente plus un «risque important» pour le public. Il a graduellement retrouvé sa liberté.

L'avocat de Turcotte, Pierre Poupart, note que Turcotte n'a par ailleurs aucun antécédent de délinquance. Il irait rester chez son oncle où il serait un «aidant naturel».

La confiance du public

On peut s'attendre à un autre débat d'experts houleux quant à la dangerosité, mais le noeud du débat sera ailleurs. Le troisième critère auquel doit répondre Turcotte est beaucoup plus redoutable. Il doit convaincre le juge que sa libération ne minerait pas «la confiance du public envers l'administration de la justice».

On voit tout de suite que cet élément est le plus subjectif des trois. Qu'est-ce que la confiance du public? Comment la mesure-t-on?

Tout dépend du crime, de l'accusé, des circonstances.

Dans le cas d'un crime «horrible, inexplicable», remettre l'accusé en liberté peut miner cette confiance, reconnaît la Cour suprême. La gravité de la peine encourue, la force de la preuve doivent être considérées. Personne ne remet en doute ici que Turcotte est bien celui qui a tué ses enfants.

On ne fera pas de palmarès de l'horreur, mais il est difficile d'imaginer beaucoup de crimes plus horribles et inexplicables que le meurtre de deux enfants à coups de couteau.

Turcotte était d'ailleurs détenu à son premier procès. Il faudrait donc d'une certaine manière qu'il convainque le juge que la confiance du public serait moins compromise aujourd'hui qu'il y a quatre ans.

Malheureusement pour lui, «l'affaire Turcotte» est sans doute la cause qui a le plus traumatisé l'opinion publique au Québec depuis 15 ans. Le verdict de non-responsabilité pour cause de troubles mentaux n'a tout simplement pas été digéré, même s'il a été annulé par la Cour d'appel.

Le juge du deuxième procès, qui n'aura pas lieu avant l'an prochain, n'a pas à décider par sondage... Mais il lui sera difficile d'ignorer le climat général quand viendra le temps de jauger la très immatérielle «confiance du public».

Turcotte avancera que depuis son arrestation, en février 2009, il a passé 57 mois en détention. Le procès n'ayant pas lieu avant 12 autres mois, il aura donc purgé six ans de prison avant d'espérer un nouveau verdict de non-responsabilité criminelle pour cause de folie.

Dans le contexte actuel, je ne crois pas que l'argument ait beaucoup de poids.

Bref, sans que cette mise en liberté soit impossible, elle apparaît bien improbable.

Pour joindre notre chroniqueur: yves.boisvert@lapresse.ca