Stephen Harper nous a bien eus, m'a dit hier un ancien prof de Clément Gascon.

Il nous a «bien eus» dans le sens où, cette fois, il a choisi un juge de très haut calibre, un juriste entre les juristes, à qui personne ne peut prêter d'affiliation politique. Nommé par les libéraux à la Cour supérieure en 2002, puis par les conservateurs à la Cour d'appel en 2012, le parcours de Clément Gascon n'est marqué que par une seule constante: l'excellence de son travail.

Plusieurs protestaient même de voir passer devant lui d'autres candidats quand un siège se libérait à la Cour d'appel, plus haute instance judiciaire au Québec.

Un de ses anciens profs à McGill le décrit comme l'étudiant le plus discret de la classe, celui qui ne pose pas une question du semestre... mais qui finit premier à l'examen. Un fort en thème, un vaillant, réputé le meilleur expert en droit commercial au Québec... Il a à son actif la restructuration de la société Abitibi, un affreux dossier, mais aussi un spectaculaire recours collectif victorieux d'usagers des banques...

Bref, personne n'ira protester cette fois.

Ce résultat excellent ne devrait toutefois pas nous faire conclure que tout est parfait dans le processus de nomination à la plus haute cour du pays. Loin de là.

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La bonne nouvelle est sans doute que la tentative de détournement des nominations par les conservateurs n'a pas fonctionné.

Petit rappel. L'an dernier, l'un des trois juges québécois de la Cour suprême, le juge Morris Fish, a pris sa retraite. En principe, le ministre fédéral de la Justice doit alors consulter le milieu juridique québécois, dresser une liste d'une demi-douzaine de candidats, puis la soumettre à un comité parlementaire formé de cinq députés (dont une majorité de conservateurs). Ce comité de députés fait une courte liste de trois noms, et le premier ministre choisit le candidat. Le Globe and Mail nous apprenait la semaine dernière que la liste de six candidats comprenait quatre juges de la Cour fédérale. On doutait déjà de leur admissibilité (doute que la Cour suprême a confirmé en déclarant inadmissible le juge Marc Nadon). Mais au-delà de ce débat technique, personne ne croyait que cette liste était crédible. Le gouvernement conservateur cherchait clairement un juge plus enclin à la «déférence» envers le pouvoir exécutif.

La Cour suprême a conclu qu'il faudrait carrément changer la Constitution pour pouvoir nommer un juge de la Cour fédérale.

Deux mois plus tard, le bureau du premier ministre a lancé une attaque vicieuse et sans précédent contre la juge en chef, Beverley McLachlin, prétendant qu'elle avait tenté de communiquer avec Stephen Harper de manière «inappropriée». Elle avait pourtant clairement suivi le protocole voulant que la juge en chef soit consultée au sujet des nominations.

Bref, le processus, plus politisé que jamais, a été tué par les conservateurs eux-mêmes.

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Le bon accueil que reçoit la nomination du juge Gascon sera comme un apaisement dans cette querelle absurde entre le bureau du premier ministre et la Cour suprême. Une querelle voulue uniquement par Stephen Harper, qui n'a pas l'air d'accepter totalement l'idée du contrôle constitutionnel des lois du Parlement... On n'est plus au XIXe siècle, que voulez-vous!

Il n'en reste pas moins que l'on est encore à la recherche, plus que jamais, d'un mode de sélection et de nomination indépendant et crédible.

Un bon résultat obtenu au terme d'un processus arbitraire n'est qu'à moitié satisfaisant, surtout après la déconfiture Nadon.

On ne peut pas s'empêcher par ailleurs de souligner que la Cour ne compte que trois femmes sur neuf juges.

Plus grave encore, toutefois: le déficit de crédibilité du mode de nomination ne vient pas d'être comblé par ce très bon choix. Il reste à trouver... À condition de le chercher, bien entendu.