Ce doit bien être la première fois qu'un rapport est rendu public en dehors des heures ouvrables.

Que le gouvernement Couillard rejette le rapport Ménard sur la crise étudiante de 2012, c'est son droit. L'exercice a été mal lancé. Un travail a tout de même été fait, financé à même les fonds publics. Un minimum d'examen public serait de mise...

Sans doute y a-t-il dans la partie «technique policière» du rapport de quoi améliorer la façon d'intervenir pendant les manifs.

Encore que des recommandations du genre «rappeler aux corps policiers que le recours aux stratégies de contrôle de foule doit demeurer exceptionnel» ne nous avancent pas tellement. Facile de dire qu'une «manifestation pacifique ne doit pas être dispersée sur la base d'actions isolées de perturbateurs». Dans la vraie vie, quand détermine-t-on le volume suffisant de violence pour disperser?

Mais ce qui me frappe surtout dans ce rapport, c'est l'extraordinaire complaisance avec laquelle il traite les leaders étudiants.

Il n'y a en fait que deux véritables coupables visés dans ce rapport: le gouvernement et la police. Toute la trame narrative, dirait-on, est un repiquage du livre de Gabriel Nadeau-Dubois et du témoignage de Martine Desjardins.

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La Commission reproche au gouvernement Charest d'avoir refusé la négociation et la médiation. C'est bien vrai. Il a fallu le pourrissement du conflit pour qu'enfin on assoie tout le monde à la table de négociations.

On passe un peu rapidement sur le fait que la CLASSE de Nadeau-Dubois ne voulait pas du tout négocier.

Quand, enfin, elle a condescendu à le faire, elle a fait savoir qu'elle exigeait le retour aux coûts de 2007... et la gratuité universitaire en 2016. Une position totalement irréaliste, irrecevable, et tout le monde le savait.

Un minimum d'équilibre aurait supposé que la Commission reconnaisse le refus radical de négocier une hausse quelconque.

Elle n'en conclut pas moins que la dégradation du climat est entièrement due au défaut de négocier du gouvernement. Et si la CLASSE avait cherché précisément cette dégradation?

Le regroupement avait des objectifs qui dépassaient largement la question des droits de scolarité. C'était tout un programme social et politique qui était à l'agenda pour elle. Nul doute que la surchauffe sociale, la prise de la rue, servait ses objectifs - et ceux d'organisations syndicales.

Pas grave, cette partie-là de la politique est totalement ignorée.

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Une entente a pourtant été signée après une nuit de négociations en présence des centrales syndicales, le 5 mai. Tous les leaders étudiants l'ont ensuite reniée, comme s'ils avaient été somnambules.

Prétextant les sorties triomphalistes (et malhabiles) des ministres libéraux qui juraient n'avoir «rien cédé», ils ont déchiré l'entente.

Léo Bureau-Blouin et Martine Desjardins ont eu peur de se faire doubler sur leur gauche. Ces deux-là n'étaient pas de taille politiquement face à Nadeau-Dubois. Leurs exécutifs leur reprocheraient leur mollesse. Leur fédération allait-elle se disloquer?

Ils ont joué aux radicaux ce printemps-là, mais c'était un rôle de composition, comme la suite péquiste des choses l'a démontré. Le vrai leader, celui qui a imposé la ligne au mouvement étudiant, c'était Nadeau-Dubois. Bureau-Blouin et Desjardins, très éloignés de GND idéologiquement, pensaient s'en servir pour faire face à Jean Charest. C'est GND qui les a utilisés.

La Commission résume les événements, mais sans aucun reproche au manque de sérieux des négociateurs étudiants. Comme s'ils flottaient dans la vertu apolitique.

Prise dans une sorte de romantisme, elle nous parle même de la «merveilleuse histoire du déroulement de la grève au Cégep de Gatineau».

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Quant aux injonctions, j'ai dit dans ces pages qu'elles sont un mauvais moyen de régler un problème essentiellement politique. J'ai dit aussi que Nadeau-Dubois n'aurait pas dû être condamné pour avoir incité à la violation de telles injonctions - la preuve m'apparaît nettement insuffisante.

Mais est-ce dans le mandat de la Commission d'écrire que «les injonctions ne sont pas un mode de règlement des conflits et [que] toute tentative de les utiliser à cettefin s'avère contre-productive et peut, comme ce fut le cas lors du printemps 2012, contribuer à envenimer le conflit» ?

Bien sûr que ce n'est pas un «mode de règlement». Mais comment un ancien juge et un ancien ministre de la Justice peuvent-ils écrire que «toute tentative de les utiliser» (toute!) est à proscrire? Est-ce qu'en temps de grève étudiante on doit suspendre le recours à l'injonction? C'est un peu court et imprudent, comme sentence!

La Commission veut donner le droit de grève aux associations étudiantes en imposant le vote secret - elle montre l'ambiance pas toujours démocratique de ces assemblées. Pour être acceptable, il faudrait l'étaler dans le temps ou permettre le vote électronique.

Bref, je ne suis pas contre la reconnaissance formelle du pouvoir étudiant. Il y a pour ça une contrepartie qui n'est malheureusement pas facile à trouver dans ce rapport: la responsabilité des organisations étudiantes.