Je me trouve ce matin dans une drôle de position. Je te confie ceci, camarade, que le boss ne doit pas savoir: j'ai pas vu le match. A-t-il vraiment eu lieu? 0-0, c'est un peu nul et non avenu...

Je me trouve ce matin dans une drôle de position. Je te confie ceci, camarade, que le boss ne doit pas savoir: j'ai pas vu le match. A-t-il vraiment eu lieu? 0-0, c'est un peu nul et non avenu...

J'étais jeudi en train de regarder Les aiguilles et l'opium, téléphone fermé à double tour, tout absorbé.

Le génie de Robert Lepage, c'est de donner à voir des choses invisibles, infiniment délicates et intérieures. Le vertige, l'ivresse, le temps... Il est déconseillé de fabriquer de la poésie avec des machines, Ronald, ça peut vous péter au visage. Lepage, il sait.

Le génie de Marc Labrèche, lui, consiste à incarner la gravité des choses humaines avec toute la légèreté du monde.

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Une phrase de Cocteau m'est restée: «Tout ce qu'on fait dans la vie, même l'amour, on le fait dans le train express qui roule vers la mort. Fumer l'opium, c'est quitter le train en marche; c'est s'occuper d'autre chose que de la vie, de la mort.»

Le hockey est un opium social de qualité. Pas dans le sens de «l'opium du peuple» dont parlait Marx en dénonçant les religions. D'ailleurs, je trouve couillonnes toutes ces tentatives de dire qu'on a transféré le sentiment religieux dans le hockey. Si on parle de «Sainte-Flanelle» et d'autres termes religieux, ce n'est pas vraiment parce que le hockey a été élevé au rang de religion. C'est parce que le fond culturel canadien-français est fondamentalement catholique. C'est un transfert de vocabulaire relativement superficiel, arrêtons de déconner.

Cocteau écrit dans son journal de désintoxication que les médecins, au lieu de chercher des cures, devraient plutôt s'employer à rendre l'opium inoffensif. C'est de cet opium-là, imaginaire, que je parle.

Une victoire, une victoire en série surtout, fait quitter à l'amateur le train express de sa vie. Il plane. Il oublie ses amours qui ont mal aux dents momentanément. Il se couche avec le sourire et le lendemain paraît plus léger.

Certains s'en scandalisent, Ronald, tu les connais, ces esprits sévères qui méprisent le sport. Eh ben moi, je m'en réjouis. Je suis de l'école Cocteau, question hockey.

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Je n'étais pas encore sorti du TNM que j'ai entendu un gars dire: «0-0, 10 minutes à faire!»

Oh... Aurais-je... rien manqué?

En roulant vers la maison, la troisième période a eu le temps de finir. Je croyais voir nos trois ados au poste en arrivant... Tous couchés! Sous prétexte de fatigue sportive et d'examen le lendemain! Ronald, il est temps de faire un conseil de famille.

Même pas eu le temps de me verser un verre de houblon fermenté: c'était fini!

«Jamais vu un match aussi plate», a déclaré le plus jeune le lendemain pour justifier sa désertion. Ils n'aiment pas les «matchs de gardien». On a regardé en reprise cinq ou six fois le but vainqueur. Il était profondément insulté.

«Vieux but!», a-t-il dit avec mépris.

Traiter un but de «vieux», Ronald, c'est pas un compliment. Être ce but-là, je serais pas fier.

Le problème avec le hockey comme avec l'opium, c'est que tu t'habitues à la dose. Les soirs «sans» sont plus gris. Tu rembarques dans le train express...

Ce soir, par contre, ce soir, Ronald! Nous serons au poste. Et dans la vieille ville révolutionnaire, près de Charles River, qui sait si on n'aura pas notre fix?