Sauf la minute de silence, quelques images de victimes le long du parcours, des hélicoptères et des gens qui couraient pour quelqu'un, Boston est resté Boston.

Je veux dire par là que l'esprit de fête n'a pas été englouti par la solennité du moment.

«Bière, beignes et cigarettes gratis», offrait l'affiche de sept ou huit gars qui avaient commencé le party dès l'hymne national, tout de suite au départ de Hopkinton.

On envahit leur ville depuis 100 ans, hier à 36 000 dans une cour d'école, vêtus de pyjamas bariolés pour se garder au chaud en attendant de les offrir à un organisme de charité, ils ont le droit de déconner et de rire de nous.

Les premiers kilomètres sont clairsemés: on est dans la Nouvelle-Angleterre semi-rurale, maisons à pignons, clin de bois... On traverse des zones boisées très tranquilles, quelques villages, et finalement Wellesley.

C'est la ville du fameux collège pour jeunes filles de la bonne société, où Hillary Clinton a été éduquée. C'est surtout l'endroit où, sur 1 km, des filles hurlent avec des affiches demandant de se faire embrasser.

Rituel un peu trop convenu, si vous voulez mon avis. Mieux vaut garder sa concentration! Un reste de superstition m'a néanmoins poussé à sacrifier au rituel.

J'ai été chanceux, il y avait là la princesse héritière du Kenya, qui a des pouvoirs magiques comme vous savez, enfin on n'a pas eu le temps de se présenter vraiment, mais elle en avait l'air. Je lui ai donné un baiser sur la joue gauche sans même arrêter.

La suite a prouvé que ce n'était pas la vraie, ou que ses pouvoirs sont périmés.

Nous sommes partis trois amis. On finit toujours par courir seul. Même à trois. Même à Boston. Même devant 500 000 personnes.

Phil est parti devant. Pierre est resté derrière.

J'ai doublé Rick Hoyt, 52 ans, dans son jogger à roulettes, poussé par son père Dick. On pensera ce qu'on voudra de leur discours de motivation, voir cet homme de 72 ans, couvert de sueur, pousser son fils paralysé pour un 32e et dernier marathon de Boston, ça vous procure quelques frissons.

Ils ont fini en 4h38 min. Essayez, pour voir...

Au 25e kilomètre, en haut d'une colline (les collines sont à ce marathon ce que les plaines sont à la Saskatchewan: y a que ça), en haut donc, une femme est à l'écart sur la gauche du parcours.

Elle a une jambe artificielle et court avec un grand sourire.

Ce n'est pas une survivante des explosions. Ni l'homme avec une jambe artificielle que j'ai croisé au 35e. Mais disons que dans cette course particulière, un an après celle qui a fait 16 amputés et 3 morts, leur présence avait valeur de symbole.

J'ai serré la main de la coureuse sans rien dire. C'était mieux d'ailleurs. Si des mots avaient pu passer dans ma gorge, ç'aurait été quelque chose comme «merci d'être là», alors...

Je vous ai dit qu'il y a des collines? Natick, une des huit villes que traverse ce marathon, veut dire «pays de collines» en algonquin, paraît-il. Ces Indiens-là ne connaissent pas Newton: c'est des montagnes, à côté. Trois côtes maintenant célèbres, qu'un journaliste de Boston a nommé les côtes crève-coeur. Le nom est resté pour la dernière, Heartbreak Hill.

C'est plutôt mes cuisses qui étaient brisées de crampes, au 35e. Il n'y aurait pas d'exploit. Ça m'a permis de faire quelques «high fives» et de contempler la scène mouvante.

Le parcours en entrant à Boston est plein de spectateurs et de hurlements. Les coureurs d'élite sont partis depuis longtemps, mais ils sont encore là, ils crient, ils sont contents, ils sont l'événement lui-même.

Boylston Street s'est amenée, ou plutôt j'y suis parvenu. La journée était magnifique. Je me suis souvenu de la chance qu'on a de courir, comme dit le coach avant chaque marathon.

Ça paraissait un peu plus hier, dans cette ville contente de guérir.