Yves Boisvert: Quoi, camarade, j'apprends que tu boudes l'isoloir? Que tu te vantes de ne pas voter? Dis-moi que c'est une fausse rumeur...

Yves Boisvert: Quoi, camarade, j'apprends que tu boudes l'isoloir? Que tu te vantes de ne pas voter? Dis-moi que c'est une fausse rumeur...

Patrick Lagacé: Je ne me vante pas, Yves. Je sais que c'est socialement mal vu. Mais d'ordinaire, je vais voter si je crois que mon vote peut changer quelque chose. En 2012, j'ai voté parce qu'un parlementaire dont j'avais apprécié le travail était dans le trouble. À petite échelle, des fois, mon vote peut changer quelque chose. Dans le grand ordre des choses? Pas du tout.

YB: Ah! Le grand ordre des choses... C'est vrai qu'un vote ne change rien au cours des planètes, ni à la dérive des continents. Mais même à petite échelle, si tu attends toujours le moment où TON vote changera quelque chose, tu risques de vivre un stress insoutenable. Genre: 50% +1? Tu veux vraiment être cette personne-là?

PL: Dans un référendum, ce qu'on propose, c'est un changement radical. Ou pas. Là, je voterais assurément. Mais dans une élection, dans notre système uninominal à un tour? Ça ne change rien. Je suis en train, juste pour le fun, de retourner voir ce que le PQ disait des libéraux au sujet du régime minier. Hilarant! Au pouvoir, le PQ a fait ce qu'il reprochait aux libéraux. Si c'était seulement sur le régime minier. Meet the new boss, same as the old boss.

YB: Donc, tu ne votes qu'aux référendums? Mosus de problème: faut élire un parti qui veut en faire un, pour ça... Tu me diras que même le PQ nous dit maintenant: «Y EN N'AURA PAS, DE RÉFÉRENDUM» (...tant qu'on ne sera pas prêt). Mais tout de même, pour te rendre au match final, encore faut-il jouer pour se rendre en séries, si tu permets un détour par la Cage aux sports.

PL: Je sais. J'assume cette contradiction. Assumes-tu la tienne: voter pour un système qui ne change pas, pour des partis qui sont également assujettis à l'économie? C'est quoi la grande différence entre 2014 et 2012, au Québec? Si on exclut le bruit d'une Charte, par exemple?

YB: Nous sommes tous «assujettis à l'économie», comme nous sommes tous assujettis à la gravité. Entre la vision de Québec solidaire et celle de la CAQ, il y a un monde économique. C'est-à-dire la manière de voir le rôle de l'État et des gens dans l'économie. Il y a aujourd'hui, 7 avril 2014, une quantité impressionnante de raisons sérieuses de voter pour ou contre une personne, un parti, une idée. À moins bien sûr d'attendre du politique une sorte de pureté qui jaillirait tout d'un coup, un parti génial issu d'un autre monde, en quelque sorte, un monde où les lois très plates de la physique et des humains ne s'appliqueraient pas, qui ne nous parlerait pas de garderies à 9$ ou de listes d'attente... C'est ça que tu attends pour aller voter? Des «grands trucs» ?

PL: Tu n'as pas répondu à ma question.

YB: J'y ai répondu en te disant que si tu attends de l'État qu'en deux ans, il change ta vie radicalement, tu attends des choses impossibles. En même temps, plein de choses se passent, ou continuent d'arriver, ou de ne pas être réparées. Depuis 2012? Le gouvernement a fait adopter des lois anticorruption et les partis se sont mobilisés. Ou nous arrive avec un projet «identitaire»: aime ou pas. On a dit aux étudiants qu'ils continueraient à payer moins que leurs parents pour aller à l'université.

On n'a pas changé le toit du stade. On s'est endettés. Etc.

PL: Je suis d'accord avec toi: «plein de choses se passent», mais je ne vois pas la grande différence entre le PQ et le PLQ (j'exclus la Charte de l'équation) quand vient le temps d'influer sur le cours des choses.

Je vois, en revanche, de grandes différences entre ce que les partis proposent dans l'opposition ou en campagne électorale. Je suis tanné de cette pièce de théâtre. Tiens, j'y vais d'une idée radicale, que j'assume: un grand mouvement de transparence dans toutes les sphères de l'État sera salement plus sain pour la démocratie, cette année, qu'un taux de participation de 90%.

YB: Il y a toujours une marge entre ce qu'on reproche aux autres de faire (ou pas) et ce qu'on peut faire dans le monde réel. L'architecture même de nos parlements est un peu menteuse. Ils sont rarement aussi «pour» et «contre» qu'ils le disent, à se crier des sornettes les uns en face des autres. Et puis, y a pas que le PQ et le PLQ, en passant.

PL: Je sais qu'ils ne sont pas toujours totalement «pour» ou totalement «contre». Mais c'est la logique du système, qui m'épuise. Les regarder, les croire, demande une bonne dose de déni et d'acceptation de ce théâtre. Ça ne me tente plus tellement.

Il n'y a pas que le PQ ou le PLQ. T'as raison. Ah, s'il y avait une forme de proportionnelle! Une forme, j'ai dit, Yves, une forme. Là, mon vote compterait. Là, ce serait vrai que «chaque vote compte». Parlant de vote qui compte ou pas, viens me dire que ton vote «compte», toi qui habites désormais un bastion qui consacre toujours le candidat du même parti par des majorités nord-coréennes? Un vote compte, dans ta circonscription? Non.

YB: Personnellement, remarque bien, je trouve qu'on devrait retirer le droit de vote aux journalistes, comme c'était le cas avant pour les juges, pour préserver une sorte d'apparence d'impartialité... Mais les tribunaux ont redonné le droit de vote aux juges et aux résidants des institutions psychiatriques en 1988, avant de le redonner aux détenus.

Qu'est-ce qu'on disait? Ah, la proportionnelle. Une proportionnelle très modérée, je ne serais pas contre: réserver quelques sièges pour rendre le système électoral moins injuste et donner du poids aux votes que tu dis perdus - chaque vote apporte du financement au parti que tu choisis, par contre. Ça tombe bien, y a des partis qui ont ça dans leur plateforme: ça te fait une raison de voter!

PL: C'est ce qui nous distingue, cher Yves. Moi, je suis pessimiste; toi, tu es d'un optimisme inébranlable. Quand tu me dis qu'il y a des partis qui suggèrent une forme de proportionnelle, et que cela est une raison de voter... Je vois une idée qui prend de la poussière sur les tablettes des partis depuis longtemps. Le ministre libéral Benoît Pelletier a fait des consultations à ce sujet en 2006 puis... Puis, rien.

Ça, ce serait une sorte de vrai changement, qui forcerait la collaboration des partis, qui donnerait un rôle à des partis d'opposition. Qui donnerait du poids à chaque vote.

YB: Il me semble que la paternité et le journalisme nous condamnent à un minimum d'optimisme. À croire que le monde peut changer. L'éducation gratuite et obligatoire était une chose qui paraissait bien utopique il y a 150 ans. Je ne suis pas si optimiste. Juste plus patient, peut-être.

PL: Je crois que le monde peut changer. Je crois juste pas que mon vote, dans un-système-uninominal-à-un-tour-je-gagne-avec-39% -des-voix-et-j'ignore-l'opposition-pendant-quatre-ans, puisse changer quoi que ce soit, la plupart du temps.

Le monde change pour toutes sortes de raisons. Pas juste parce que les citoyens font leur devoir de citoyen, une fois aux quatre ans, pour savoir qui va conduire la locomotive, comme le disait Foglia dans sa chronique de samedi. Tiens, tant qu'à citer les vieux sages, George Carlin: «Si tu votes et que tu fais élire des gens incompétents et malhonnêtes, et qu'ils scrappent tout, tu es responsable de ce qu'ils font. Tu as causé le problème. Et t'as pas le droit de te plaindre.»

YB: C'est sûr que c'est une posture esthétiquement impeccable, ne pas voter. Ça vous maintient dans la pureté. Ça consiste à se hisser au-dessus de la masse votante pour lui dire: je ne suis pas là-dedans. Je ne suis pas responsable de l'état déplorable de mon pays, vu que je n'ai pas voté pour les idiots, ou malhonnêtes, ou incompétents, ou les trois, qui nous gouvernent.

Je suis plutôt admiratif des politiciens, quant à moi.

Tu disais tantôt que ce n'est pas «socialement acceptable», ne pas voter? Arrête-moi ça! Dans certains quartiers au contraire c'est très chic de mépriser les politiciens, le système politique et ses sous-produits.

Carlin le dit autrement: ne pas voter, c'est refuser la responsabilité.

Cool!

Personnellement, je préfère accepter que les choses sont un peu de ma faute.

PL: Yves, dire que je ne vote pas pour des raisons esthétiques, c'est aussi court que si je te disais que tu es un naïf de participer à ce système bipartite qui ne fait que changer la couleur du gestionnaire...

Et quand tu dis «dans certains quartiers», c'est une belle formule, mais je ne sais pas de quel quartier tu parles.

YB: OK, OK, prends pas ça mal. Au fait, je suis allé regarder les candidates et candidats dans ta circonscription... Toi, tu ne me diras pas que tu n'as pas le choix et que ton vote ne change rien! Essaye donc, juste pour voir, d'un coup t'aimerais ça...

PL: Ah, ah. OK, je te promets d'y réfléchir. Mais ça m'étonnerait que ce coup-ci, j'aille voter pour la moins pire des options.