Quand il était petit, en Californie, Ari Edelkopf, s'assoyait sur les genoux de son grand-père, qui lui racontait sa vie dans le goulag.

Huit ans au camp en Sibérie. Pourquoi? Pour avoir pratiqué la religion juive, interdite comme tous les autres cultes sous l'URSS.

Son arrière-grand-mère, morte en 1986, racontait les scènes de pogroms dans le ghetto juif d'Ukraine où elle habitait, avant la Révolution russe. Comment elle avait survécu au massacre en se cachant sous un lit.

Jamais il n'aurait pensé retourner au pays de ses ancêtres un jour, et encore moins pour y fonder une synagogue.

«C'est un miracle, ce que nous vivons ici, dit le rabbin de Sotchi. Que simplement quelqu'un puisse dire publiquement: je m'appelle Moses, je suis juif et je crois en Dieu... Impensable il y a 25 ans!»

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Dimanche dernier à Sotchi, toute la délégation olympique israélienne (cinq athlètes) était réunie avec l'ambassadeur à Moscou et d'autres dignitaires pour souligner l'ouverture des Jeux.

Ils ont commémoré les 11 athlètes israéliens assassinés par des terroristes palestiniens aux Jeux de Munich, en 1972. Et ils ont mesuré le chemin parcouru depuis le temps où il était illégal d'être juif en Russie.

«On ne pouvait pas être juif, mais on ne pouvait pas non plus quitter le pays», rappelle le rabbin Ari Edelkopf.

Son père était un de ces «refuzniks». C'est ainsi qu'on nommait les juifs d'URSS qui tentaient de fuir le pays.

Officiellement, l'URSS permettait aux gens de partir, mais il fallait demander un visa. La demande à elle seule pouvait vous faire perdre votre emploi et ouvrir la porte à d'infinies tracasseries bureaucratiques, sinon carrément à la persécution.

Le plus célèbre refuznik fut Natan Sharansky. Mathématicien qui travaillait avec le physicien nucléaire Andreï Sakharov, il a fondé un groupe de défense des droits de la personne. Il a été condamné au goulag, où il a passé neuf ans pour «espionnage» et trahison.

«Au début de l'Union soviétique, les juifs devaient se réunir dans les caves des maisons, jamais les mêmes, pour ne pas se faire arrêter. Pas seulement les juifs, d'ailleurs, les chrétiens aussi.»

Son grand-père, même s'il avait servi comme officier pendant la Seconde Guerre, a été envoyé au camp tout de suite après.

C'était l'époque où l'antisémitisme était une politique officielle de l'URSS. Les groupes juifs qui avaient fait cause commune avec l'armée russe contre l'Allemagne nazie étaient désormais suspects. Des arrestations eurent lieu en masse. Cette paranoïa de Staline culmina avec l'arrestation, les procès et l'exécution pour trahison bourgeoise de 13 intellectuels, en 1952, connue sous le nom de «nuit des poètes assassinés».

À la même époque, Staline a fait arrêter des centaines de médecins juifs, qu'il soupçonnait de comploter pour le faire mourir1.

Heureusement, Staline est mort pour vrai, avant qu'ils ne passent au peloton d'exécution. Ils ont été libérés. Le grand-père du rabbin Ari Edelkopf aussi.

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«Jamais mes grands-parents n'auraient pu imaginer ce qui nous arrive aujourd'hui, c'est énorme! Chaque jour, j'ai des flashes de ce que me disait mon grand-père, et je vois ces juifs qui ont vécu dans la honte et dans la peur pendant 75 ans.»

Des années de persécution ont détruit toute la structure religieuse organisée. S'il y a environ 3000 juifs à Sotchi, ils ne sont pas nombreux à pratiquer leur religion.

N'empêche, le mouvement hassidique Chabad Lubavitch a ouvert 200 centres en Russie.

Dans un hôtel de Sotchi, à l'entrée du parc olympique, on a installé une salle de prière et on fait des repas casher.

Toutes choses impossibles il y a une génération.

Les juifs qui ont quitté la Russie ont revécu la fuite d'Égypte en recouvrant la liberté, disait Sharansky.

Mais jamais le grand-père ou le père d'Ari Edelkopf n'auraient cru qu'ils pourraient y retourner en hommes libres.

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1. Russia, Martin Sixsmith, Overlook Press, 2014.