Denny Morrison venait tout juste de sortir de l'anneau de vitesse avec sa deuxième place. Il était toujours dans la zone mixte que, déjà, il lançait l'idée aux médias canadiens.

«Il y a une rumeur selon laquelle Patinage de vitesse Canada pousserait la candidature de Gilmore Junio comme porte-drapeau pour les cérémonies de clôture», a dit le médaillé d'argent.

Oh! C'était rapide, comme suggestion, 15 minutes après le fait et après quatre jours de Jeux...

Deux jours avant la compétition, Junio avait donné sa place à Morrison et enfin une très belle histoire canadienne arrivait d'ailleurs que du Québec.

Meilleur patineur canadien au 1000 m, Morrison avait été relégué au rang de substitut pour cause de chute le jour de la qualification olympique canadienne.

Un peu partout dans les médias au Canada, l'idée a été reprise. Ce geste d'abnégation vaut bien une récompense, non?

Sans doute... Mais l'empressement à le suggérer fait poser la question: est-ce vraiment pour récompenser la pure beauté du geste ou pour délester ceux qui ont fait pression sur le généreux patineur? Est-ce vraiment une bonne idée, en fait?

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Junio nous dit que c'est «sa» décision. À voir son sourire dans la zone mixte, avant même d'être l'objet de l'admiration internationale, on le croit.

Il a tout de même dit que son entraîneur le lui a demandé. On sait aussi qu'il y a eu une réunion d'équipe. Et que Junio s'entraîne avec le même personnel que Morrison.

Alors comment se sent un athlète qui se fait faire une telle suggestion par son entraîneur? Junio avait déjà eu «sa» course, le 500 m (10e).

Morrison, habitué des podiums dans les compétitions internationales, était le seul Canadien en position de médaille au milieu des Néerlandais et du recordman mondial Shani Davis.

Alors comment se fait-il que la décision soit arrivée par texto à Morrison deux jours avant le jour J, si la chose était si naturelle?

«C'est ça, l'esprit olympique canadien», a dit Junio. Se sacrifier pour un bien plus grand, celui de l'équipe.

Cet esprit, c'est aussi la valeur des médailles. Ça veut dire demander à quelqu'un de qualifié à la régulière de s'écarter au profit d'un malchanceux. Ça se défend.

Mais il entre assurément une part de pression «politique sportive» dans le processus. Je veux dire que cette médaille est importante pour le Comité olympique canadien, pour Patinage de vitesse Canada aussi.

Pourquoi des qualifications si le choix est si évident?

Junio nous dit qu'il a réalisé la forme de Morrison à l'entraînement et que ça l'a aidé à décider.

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«Il a dû voir des choses qu'on n'a pas vues», m'a dit vendredi Muncef Ouardi, de Québec, qui a fini 32e au 1000 m.

Ouardi savait qu'il n'irait pas sur le podium. Sa spécialité est aussi le 500 m.

Mais il n'aurait pas cédé sa place.

«On ne me l'a pas demandé, ni aux deux autres [quatre Canadiens prenaient part au 1000 m]. Mais je ne la lui aurais pas donnée. Les risques étaient trop grands. Imagine, tu sacrifies la moitié de tes Jeux et il finit 5e...

«Je trouvais ça dommage pour Denny qu'il ne se qualifie pas, mais ce sont les règles du jeu. On ne sait jamais ce qui peut arriver dans le sport.

«Finalement, c'est vraiment une bonne histoire, et ça finit bien, Gilmore laisse sa place, Denny gagne l'argent. C'est parfait. Tant mieux! Mais on dit ça après coup. Ce n'était pas évident du tout pour moi que Denny allait sur le podium.»

Est-ce que ça vaut d'être un porte-drapeau?

«Que ce soit mérité ou pas, veux, veux pas, les Jeux olympiques, c'est fait pour inspirer les gens; alors si ça peut aider à inculquer des valeurs de partage, pourquoi pas?»

Comme disait Marcel Aubut, on n'en est clairement plus à la gloire de la participation. Faut gagner.

Il entre donc aussi un peu de cette «nouvelle philosophie» dans la glorification et la récupération de ce qui reste, vraiment, un beau geste.