Il y a eu le verdict d'un jury; il y a eu le jugement de trois juges de la Cour d'appel, qui le confirmait; et le mois dernier, trois autres juges de la Cour suprême ont décidé que la cause ne méritait même pas d'être entendue en dernière instance. En principe, Jacques Delisle a épuisé tous ses recours. Sa condamnation pour le meurtre prémédité de sa femme, Nicole Rainville, est définitive. Emprisonné depuis cette condamnation, en 2012, il n'aura droit à la libération conditionnelle qu'en 2037 - à 102 ans.

Condamnation définitive? Pas tout à fait. Il existe un mécanisme pour corriger les erreurs judiciaires, résidu de l'antique pouvoir royal de clémence et de redressement des injustices. C'est la dernière carte de Jacques Larochelle, l'avocat de l'ancien juge de la Cour d'appel. Et jeudi, il a annoncé qu'il emprunterait ce chemin.

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Du simple point de vue statistique, les chances de succès sont minces. Jacques Larochelle le sait mieux que quiconque - et pas seulement parce qu'il a entrepris un doctorat en mathématiques, dont la thèse porte sur la théorie des nombres!

Au lieu de s'adresser à la reine, le Code criminel prévoit qu'une personne condamnée doit envoyer une demande au ministre de la Justice.

Chaque année, plusieurs demandes sont acheminées. Elles sont traitées par le Groupe de révision des condamnations criminelles (GRCC), qui dresse un rapport annuel de ses activités. Le GRCC étudie le dossier et déclenche parfois une enquête, généralement menée par un avocat d'expérience, indépendant du Ministère. Il fait rapport. Un conseiller spécial, en l'occurrence l'ex-juge Bernard Grenier, fait ses recommandations au ministre. Si le ministre, après ces diverses analyses et enquêtes, est «convaincu qu'il y a des motifs raisonnables de conclure qu'une erreur judiciaire s'est probablement produite», il peut ordonner carrément la tenue d'un nouveau procès ou confier l'affaire à la Cour d'appel de la province concernée.

Depuis 10 ans, 13 dossiers ont été retenus par le ministre. Presque tous ont été envoyés devant une cour d'appel. Dans tous les cas sauf un, un verdict d'acquittement a été prononcé, ou la Couronne a simplement retiré les accusations. Un dossier a donné lieu à une condamnation réduite.

On retrouve parmi ces dossiers celui de Steven Truscott, condamné comme adolescent en 1959 pour un meurtre qu'il n'a pas commis; celui de Roméo Phillion, qui a passé 31 ans au pénitencier avant d'être libéré. Des cas qui ont duré des années. Et où, très souvent, une nouvelle preuve avait surgi: déclaration cachée à la défense, preuve d'ADN, alibi, etc. C'est un des critères prévus par la loi: la présence de «nouveaux éléments importants». Il faut que les renseignements nouveaux soient fiables et pertinents.

Bref, ce mécanisme de correction des erreurs judiciaires est extrêmement exigeant. Ce n'est pas un endroit pour plaider à nouveau en appel. Un mois après le refus de la Cour suprême d'entendre l'affaire, il est donc très tôt. Que pourra bien soulever Jacques Delisle comme fait nouveau, inconnu ou non disponible lors du procès?

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«Vous comprendrez que vu l'âge de mon client (il aura 79 ans cette année), je dois être diligent», dit Me Larochelle.

Par ailleurs, dit-il, tout ne repose pas sur des «faits nouveaux». L'essentiel, c'est de démontrer la probabilité d'une erreur judiciaire. Comment? Il revient encore et toujours au noeud de la preuve: l'expertise balistique.

«Je cherche le moyen de trouver un expert ou un groupe d'experts totalement indépendants pour refaire la preuve balistique; j'accepterai ses conclusions.»

Pourtant, la Couronne et la défense ont chacune fait entendre plusieurs experts. Certes, mais les nouveaux experts ne seraient pas «engagés dans un combat, dans un esprit contentieux». Les jurys, ajoute-t-il, sont «notoirement mal adaptés à l'étude de preuves techniques. On a inventé le jury à une époque où il n'y avait à peu près aucune preuve technique.» «On pourrait croire que vous voulez plaider votre cause une autre fois, Me Larochelle...» «Au contraire, j'ai l'impression de ne jamais l'avoir plaidée, cette cause. La Cour d'appel n'a pas répondu à mes arguments, et trois juges de la Cour suprême ont décidé que la Cour ne l'entendrait pas.»

Pour lui, l'écrasement du projectile, la forme de la plaie sur la tempe de Mme Rainville, l'absence de poudre autour de la plaie: tout cela devrait mener à la conclusion imparable que l'arme était à angle droit par rapport à la tête (et non en diagonale, comme dit l'expert de la poursuite). Ce qui prouverait la thèse du suicide.

Son client parlera-t-il? Toute sa version tient dans sa déposition à la police et aux ambulanciers. «Peut-être décidera-t-il de faire une déclaration, mais que peut-il ajouter sur la balistique? Il faut en faire une affaire rationnelle, sinon c'est au risque de démissionner de notre système judiciaire. Aussi bien condamner les gens en se fondant sur leur coupe de cheveux!»

Un jury, une cour d'appel et d'autres juges ont estimé que la condamnation était solide, incontestable en fait. Il est arrivé qu'autant d'instances se trompent et condamnent un innocent. Mais à la lumière des cas passés, la tâche de prouver une erreur judiciaire et de faire renier au système ses condamnations n'est ni simple ni brève.