Trois fois, le Dr Claude Gauthier a eu des relations sexuelles dans son bureau avec une patiente qu'il soignait pour une dépression.

Si le Dr Gauthier exerçait la médecine en Ontario, il perdrait sa licence. Au bout de cinq ans, et pas avant, il aurait le droit de demander sa réinscription, à condition de démontrer qu'il a l'aptitude de le faire. Seulement depuis 2007, 14 médecins ontariens ont ainsi vu leur licence révoquée.

Ces dispositions radicales ont été adoptées il y a 20 ans en Ontario après un rapport qui montrait la gravité du problème pour tous les professionnels de la santé.

Le Dr Gauthier a bien de la chance: il exerce au Québec. Le Collège des médecins professe une politique de «tolérance zéro». En réalité, pour peu que le médecin reconnaisse les faits, on lui donnera une tape sur les doigts et quelques mois de radiation tout au plus. Comme en Ontario il y a 30 ans.

Le Dr Gauthier a ainsi reconnu son inconduite sexuelle envers sa patiente fragile psychologiquement, comme on dit. Il admet en outre avoir «outrepassé les limites de la relation professionnelle à l'égard d'autres patientes».

Le syndic et l'avocate du médecin avaient néanmoins conclu une entente: il n'y aurait aucune enquête sur d'autres cas passés, le médecin se reconnaissait coupable à l'égard d'une seule patiente, et il serait radié pour neuf mois.

Le Conseil de discipline, choqué par cette suggestion, l'a rejetée à l'été 2012 - j'en avais fait état alors. On l'avait radié pour trois ans.

Le Conseil de discipline s'écartait clairement des décisions antérieures, dont il faisait la revue, estimant qu'un coup de barre s'imposait. Ces infractions sont «peu sévèrement punies» au Québec, écrivait le Conseil.

Bref, s'il faut respecter les suggestions communes, dans ce cas-ci, il ne pouvait pas le faire, les faits étant «extrêmement graves, d'autant plus qu'ils l'ont été à l'égard d'une patiente vulnérable».

Le médecin avait nié catégoriquement au départ. Ce n'est qu'au moment d'une requête de sa part qu'on a fini par apprendre qu'il avait «reproduit le comportement qui lui est reproché à l'égard de plusieurs patientes et sur une période de 22 ans, soit la quasi-totalité de sa carrière de médecin».

On semblait donc assister à un changement de cap... Jusqu'à ce que le Tribunal des professions, qui siège en appel des conseils de discipline de tous les ordres professionnels, vienne s'en mêler.

Le 25 novembre, les juges Martin Hébert, Renée Lemoine et Louise Comeau, ont annulé cette décision du Conseil de discipline des médecins. Ils lui ont infligé une radiation de neuf mois, telle que suggérée au départ.

(Comprenez que dans pareil cas, personne n'ira plaider la cause du Conseil, les deux parties étant déçues d'avoir vu leur position commune rejetée.)

Le Tribunal reproche au Conseil de discipline de ne pas avoir suivi la suggestion, d'autant qu'elle était approuvée par le syndic des médecins, «dont la mission première est la protection du public» et qui connaît le dossier. Est-il interdit, alors, de s'écarter d'une suggestion d'un syndic? Que se passe-t-il si le syndic est - par hypothèse - trop complaisant avec un professionnel?

Ah, bien sûr, le Conseil doit s'assurer que la suggestion est raisonnable et adéquate!

Il est permis aussi de s'écarter des sanctions habituellement infligées. Mais pour cela, apparemment, il faut alerter les parties, les faire revenir pour obtenir leur avis - ce que le Conseil a manqué de faire.

«Il est certes possible pour un conseil de discipline d'amorcer un virage mais il doit formuler les explications et les justifications qui le motivent à prendre cette orientation», écrit le Tribunal.

Le commentaire est assez incroyable, puisque le Conseil s'est très bien et très longuement expliqué sur ses raisons: les sanctions au Québec sont trop peu sévères, le cas Gauthier est très grave.

Hier, le président du Collège des médecins était encore sous le choc.

Le Tribunal des professions, qui cite ici essentiellement des décisions de droit criminel, est devenu «le Tribunal des professionnels», dit Charles Bernard. Autrement dit, il ne met pas au coeur de ses décisions la protection du public, mais la protection des professionnels, dirait-on.

«Pour nous, c'est une décision inacceptable, et je trouve que le Tribunal des professions dérive de sa fonction première», dit Charles Bernard.

Faudra-t-il en venir aux sanctions automatiques, comme en Ontario (qui s'appliquent à tous les professionnels de la santé, des psys aux pharmaciens ou aux médecins)?

«Avec ce que je vois, je serais favorable à ça! Quand les outils de discipline ne fonctionnent plus, il faut les changer.»