L'année s'achève sur un espoir. Il a ce matin le visage de Nathalie Simon, mairesse de Châteauguay.

Ce qui indique un vrai changement de culture politique dans cette affaire n'est pas son refus de la corruption. Le Québec, j'espère bien, compte surtout des politiciens honnêtes.

Ce qui est vraiment nouveau ici, c'est que Mme Simon ne s'est pas contentée de dire «Non». Elle a dénoncé la tentative de corruption. Et quatre personnes ont été arrêtées.

Avez-vous eu peur, Mme Simon? lui a demandé Marie-France Bazzo vendredi. Euh... Pas vraiment. La chose semblait naturelle, ordinaire.

Voilà ce qui est nouveau: après la corruption ordinaire, l'honnêteté ordinaire. Dépourvue d'héroïsme. L'honnêteté de madame Tout-le-Monde, sans relief particulier, à la portée du premier venu, finalement... Vu qu'elle trouve enfin sa reconnaissance et son encouragement.

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Rappelez-vous...

Septembre 1989. Une femme et deux hommes entrent dans le bureau du député péquiste Guy Chevrette et ouvrent une mallette contenant 500 000 $ en espèces. Ils demandent au PQ de s'opposer à l'étatisation de la loterie vidéo.

M. Chevrette refuse tout net et expulse immédiatement ces gens, comme il l'a raconté 13 ans plus tard.

«Pourquoi entreprendre des démarches concernant une tentative de corruption? demande Guy Chevrette dans une entrevue en 2002. Certains nous l'ont suggéré, mais on était en pleine campagne électorale. On s'est dit: que le diable l'emporte!»

Dans une autre entrevue, le journaliste demande pourquoi il n'a pas alerté la police. «Nous n'y avons pas pensé du tout, dit-il. D'ailleurs, après qu'ils sont partis, on blaguait qu'on avait failli être riches.»

Novembre 1993. Le maire de Laval, Gilles Vaillancourt, offre une enveloppe contenant des milliers de dollars au candidat péquiste Serge Ménard. Il refuse, mais n'en parle à personne. Il expliquera 20 ans plus tard qu'une tentative de corruption d'un simple candidat n'est probablement pas couverte par le Code criminel. Et puis: «J'ai pensé dénoncer ce geste, mais cela aurait été sa parole contre la mienne. Je n'avais pas été ministre de la Sécurité publique, j'étais encore bien jeune», expliquera-t-il.

Septembre 1994. Thomas Mulcair, candidat libéral dans Chomedey, se fait aussi offrir une enveloppe par Gilles Vaillancourt. Il refuse.

L'affaire en reste là.

Je ne cite pas ces cas pour leur en faire reproche, simplement pour mesurer le changement.

Trois refus. Trois silences. Pourquoi se taire? La question est anachronique. C'est une question post-Charbonneau. L'époque n'a pas toujours été obsédée de propreté politique.

Sur le coup, le député, le candidat se demande plutôt: pourquoi parler? Risquer d'être poursuivi... De perdre temps et énergie... De s'aliéner un homme politique puissant... Toutes les raisons sont bonnes.

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Au fait, à qui parler dans le temps?

En 1995, si vous êtes un homme d'affaires qui veut faire des affaires honnêtement avec la Ville de Laval et que vous vous faites demander une enveloppe, vous appelez qui? La police de Laval? La Sûreté du Québec? Vont-ils faire enquête? Allez-vous avoir des ennuis? Devoir témoigner, vous faire traiter de menteur?

À d'autres la chance.

La corruption était tout aussi criminelle il y a 20 ou 10 ans. Mais il n'y avait pas d'UPAC, ni aucune escouade de police un peu conséquente pour s'y attaquer.

Alors, là où il y avait des systèmes corrompus, il y avait les complices d'un côté. Et ceux qui se contentaient d'aller voir ailleurs.

Qui veut faire seul une guerre perdue d'avance?

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En ne disant rien, cependant, les systèmes ne sont jamais embêtés. Des journalistes dénoncent quelques bizarreries de temps à autre, dans le meilleur des cas. Sans la moindre conséquence policière ou politique.

Tout s'évanouit dans un brouillard de rumeurs et d'anecdotes qu'on se chuchote entre initiés.

La culture de l'impunité s'installe. La corruption s'incruste. On lui érige des monuments lavallois sous la forme d'horribles édifices qui défigurent le paysage urbain parce qu'un dézonage opportun a été obtenu par une enveloppe...

Sauf que... Pour prospérer et se répandre, la corruption n'a pas besoin seulement des complices. Elle a aussi besoin de ceux qui passent leur chemin pour mille très bonnes raisons. Elle a besoin d'une certaine dose d'indifférence.

La commission Charbonneau a eu un effet déprimant en 2012. On pouvait avoir l'impression, devant l'exposition répétée de la pourriture municipale, que la corruption était une sorte de spécialité politique québécoise. Elle avait cette vertu, toutefois: fabriquer suffisamment d'indignation pour qu'on ait le goût de faire autrement - ou la peur de se faire prendre.

L'an 2013 est sous le signe de la restauration. Des lois ont été adoptées, des élections ont eu lieu... des arrestations - beaucoup d'arrestations - aussi. Une «culture» de la lutte à la corruption semble émerger.

Le Québec a changé, déjà.

Tout d'un coup, l'espoir est permis. Il l'est d'autant plus, me semble-t-il, que cette mairesse inconnue n'arrive pas sur un cheval blanc.

Elle ne fait que son travail de gardienne du bien public.

Permettez, Madame, qu'on vous dise, tout aussi banalement: merci.