La droite radicale est un peu mêlée, ces jours-ci en Ontario. Normalement antidrogue, elle hésite à laisser tomber son héros antitaxes...

Les toxicomanes des quartiers pauvres de Vancouver ou de Toronto sont des criminels, aux yeux des conservateurs. Rob Ford, lui, a «des problèmes personnels». Bah, ce n'étaient que quelques joints de pot et une «poffe» de crack, mêlés à quelques citernes de vodka en compagnie d'électeurs, non?

Sun News, la chaîne de Québecor qui fait dans le commentaire militant de choc, est tellement mêlée qu'elle a donné aux frères Ford une émission à heure de grande écoute. Moins de 24 heures plus tard, la chaîne annonçait leur congédiement. Ils s'attendaient à quoi d'autre de la part de ces deux intimidateurs? J'ai comme l'impression que les commanditaires n'ont pas goûté les dernières nouvelles de la Ford Nation... Ils n'ont pas l'excuse de la drogue ou de la «stupeur éthylique», pourtant.

Rob Ford, lui, touche au comique extrême. Écoutons-le encore: «Il y a les riches, il y a les pauvres, et moi, je suis du côté des pauvres.»

La femme à côté de moi dans la rotonde de l'hôtel de ville a hurlé en entendant Ford dire ça, lundi. «Eh! La première chose qu'il a faite a été d'arrêter les programmes de logement social!»

Ceux qui chantaient «nanana, hey, hey, goodbye» dans le grand hall, lors du vote final lundi, n'étaient pas non plus cette «élite snob» du centre-ville en route vers le dernier bar à vin branché. Mais des cols bleus, des travailleurs, des retraités, enfin bref, «du vrai monde».

L'entreprise familiale des Ford (fondée par le père), Deco Labels and Tags, emploie 200 personnes et a des ventes annuelles estimées à 100 millions. Le père de Rob et Doug a été député conservateur sous Mike Harris à la législature ontarienne.

S'il n'a pas d'éducation universitaire, c'est que Ford a abandonné ses études en science politique après un an, n'ayant pas réussi à jouer pour le club de football - sa grande passion.

Ford vient donc d'une famille pas mal plus à l'aise que la moyenne...

***

Voilà le grand axe de la défense Ford: l'élite bourgeoise du centre-ville qui veut ma peau parce que j'ai combattu les lobbyistes et les augmentations de taxe.

C'est vrai qu'il est méprisé depuis longtemps par cette «élite», mais la crise actuelle est entièrement de sa fabrication à lui.

Lundi en fin de soirée, un analyste de Sun News montrait aux téléspectateurs les maisons des candidates du Nouveau Parti démocratique et du Parti libéral du Canada dans une élection partielle à Toronto, pour montrer quel genre de gens s'opposent à Rob Ford. Ford est bien plus riche!

On a même vu Doug Ford aller dire à CNN que son frère Rob est un «immense progressiste» (social liberal) et l'a comparé à... Barack Obama.

C'est la blague, qui est immense: toutes ses interventions politiques ou presque l'ont placé très clairement dans le rang des conservateurs les moins subtils. Il s'est opposé aux programmes d'échange de seringue pour toxicomanes (un programme «ridicule»), de prévention du sida, et n'a eu de cesse de plaider pour des peines de prison plus sévères pour les délinquants. Le Star rappelle ses anciennes déclarations, comme «il n'y aura jamais assez de policiers à Toronto», ou ses applaudissements lors de descentes dans les milieux de vendeurs de drogue.

Ce même maire ultra-pro-police refuse maintenant d'être interrogé par la police depuis des semaines. Il a entrepris une campagne de dénigrement contre le chef de police. Doug Ford a même demandé sa démission.

***

Malgré certaines indications d'appui, il est virtuellement impossible que ce type soit réélu maire de Toronto - si la police ne vient pas le chercher avant les élections, dans 11 mois.

Les thèmes populistes qu'il exploite, eux, sont là pour rester: le ressentiment contre les élites, les politiciens «traditionnels», l'État, les impôts trop élevés, les dépenses publiques de toutes sortes, les programmes sociaux, les transports en commun, les taxes... Je l'ai dit deux fois? Pas grave, ils trouvent qu'il y en a deux fois trop: les taxes!

Tout ce programme de frustration par rapport aux privilèges, réels ou pas, toute cette volonté de démantèlement se cherche une figure pour ramener la vie politique à sa plus simple expression. La sortir de ces complications bureaucratiques. Et pas juste à Toronto.

On le voit dans l'incroyable difficulté que plusieurs figures de la droite canadienne ont eue à finalement lâcher Ford, contre tout bon sens et contre toute dignité.

Le maire est déshabillé. Ses habits à prendre - avec quelques retouches de circonstance.