L'arrestation d'un enquêteur aussi important que Benoit Roberge est une catastrophe pour le service de police. Mais il serait bien étonnant qu'elle remette en question les procès en cours ou passés.

On ne se souvient pas d'un policier occupant un poste si stratégique au Québec arrêté pour collaboration avec le crime organisé.

À côté de ça, la vieille affaire du capitaine Henri Marchessault, non moins spectaculaire, est assez banale, au fond. Le policier, très respecté, était un haut responsable de la lutte antidrogue à Montréal. Il avait été pris en 1983 à voler de la cocaïne dans les coffres de la police pour la revendre (c'est d'ailleurs Jacques Duchesneau qui l'avait arrêté). Très grave, sans doute. Au point de valoir à Marchessault 12 ans de pénitencier.

Mais le cas de Benoit Roberge est potentiellement beaucoup plus grave. D'abord par son rang: l'homme est le grand expert du renseignement criminel de la police de Montréal concernant les motards. Il a été de tous les grands dossiers des 15 dernières années, qui ont mené à l'arrestation d'à peu près tous les Hells Angels au Québec. Il témoignait comme expert en la matière. C'est une sorte d'encyclopédie policière sur le monde des motards.

Ensuite, ce qu'il est accusé d'avoir fait: il ne s'agit pas d'un type qui vend de la drogue saisie par ses collègues pour arrondir ses fins de mois; il s'agit, si les accusations sont fondées, d'un complice du crime organisé dans leur lutte contre la justice. Autrement dit, il ne se contentait pas d'être passé du côté criminel... Il aurait pu torpiller des enquêtes de ses collègues, mettre des gens en danger.

Tout ça mine la crédibilité de la police, ébranle ses collègues, inquiète les sources policières... et force les autorités à revisiter certains procès.

Déjà, on se demandait quel curieux hasard avait pu faire fuir vers l'Europe quatre compagnons des Hells tout juste avant leur arrestation dans un énorme dossier de drogue (le dossier Loquace). Ont-ils été avertis? Si l'information venait de Roberge, l'a-t-il apprise dans son travail d'expert policier... ou parce que sa femme la lui avait confiée? Sa femme, nullement soupçonnée de quoi que ce soit, est en effet procureure dans ce dossier précis!

Qu'a-t-il dit? À qui? Pendant combien de temps?

La bonne nouvelle, c'est qu'on ait pu l'arrêter. La mauvaise, ou les mauvaises... On ne les connaît pas toutes encore.

Pendant qu'on évalue l'ampleur des dégâts et de la trahison, on se souvient du cas d'Ian Davidson, un spécialiste du renseignement criminel, qui tentait de vendre au crime organisé une liste ultra-secrète de sources policières - sans succès, apparemment. Le policier s'est suicidé avant d'être arrêté.

Le cas de Roberge est beaucoup plus sérieux, puisque tout indique une relation bien établie et continue avec le crime organisé. Cela s'assimile aux nombreux cas de contre-espionnage, d'agents du renseignement qui vendent leurs informations à des pays étrangers.

Les avocats de la défense dans les procès en cours dans le dossier SharQc (51 motards) vont évidemment sauter là-dessus pour tenter une diversion. Tout ce qui peut faire capoter l'affaire est à essayer...

On voit mal pourtant comment ce scandale peut aider les motards devant la cour.

Si ce policier vendait des informations aux Hells, comment un membre pourrait-il ensuite venir se plaindre d'une atteinte à ses droits à cause du manque d'honnêteté de la police?

Les victimes là-dedans ne sont pas les accusés dans ces procès. Ce sont ses collègues, sa famille, et tout le système de justice québécois. Nous, en somme.

Il nous restera à comprendre ce qui a poussé un des plus brillants policiers de sa génération, un homme qui faisait la fierté de son service, qui avait présidé des enquêtes citées en exemple partout dans le monde, comment cet homme, donc, a-t-il pu aller aider ceux qu'il a tenté de toutes ses forces d'arrêter pendant tellement d'années?

Ce mystère-là risque de durer.