Rarement une nomination à la Cour suprême a autant étonné.

D'abord, Marc Nadon est un juriste relativement peu connu dans le milieu juridique québécois.

C'est dû en partie au fait qu'il a pratiqué au sein de la Cour fédérale et de la Cour fédérale d'appel, qui tranchent des litiges relevant des lois fédérales, et qui sont peu médiatisées.

Mais même au sein de cette cour, peu avaient identifié cet expert en droit maritime comme un des leaders - on mentionnait Robert Mainville, Johanne Trudel et Johanne Gauthier.

Deuxième étonnement: on n'a pas nommé une femme. Trois des neuf juges de la Cour suprême sont des femmes. Il ne manque pas d'excellentes candidates. Donc, sauf candidature exceptionnelle, il n'y a pas de raison de passer outre à une tentative d'équilibrage des sexes.

Or, sans avoir démérité, le juge Nadon n'est pas ce candidat exceptionnel.

Troisième sujet d'étonnement: le magistrat de 64 ans avait choisi de devenir "surnuméraire", ce qui est une forme de préretraite offerte aux juges fédéraux. Il ne siège donc qu'à mi-temps.

Il n'en reste pas moins que ce diplômé de l'Université de Sherbrooke a passé à travers le système de filtre des nominations. Le ministre de la Justice, après consultation de diverses personnes du milieu juridique, dresse une première liste de candidats - huit, en principe. Il la soumet à un comité de cinq députés (trois conservateurs, une du Nouveau Parti démocratique et un libéral). Ceux-ci confectionnent une liste finale, sans classement, de trois candidats. Le premier ministre choisit.

Non seulement rien n'a filtré de cette liste confidentielle, mais même les amateurs de cartomancie judiciaire n'avaient pas vu le visage du juge Nadon surgir...

Finalement, une petite controverse animait le milieu juridique depuis un certain temps: en lisant la Loi sur la Cour suprême, on pouvait conclure qu'une telle nomination serait... illégale!

En effet, l'article 6 de la loi stipule ceci: «Au moins trois des juges sont choisis parmi les juges de la Cour d'appel ou de la Cour supérieure de la province de Québec ou parmi les avocats de celle-ci.»

Ça semble exclure les juges de la Cour fédérale, ou de la Cour du Québec, qui sont pourtant d'anciens avocats ayant rempli les conditions pour devenir juge.

La controverse est maintenant réglée: l'avis de nomination est accompagné d'une opinion juridique d'un ancien juge de la Cour suprême, Ian Binnie, peut-être le plus respecté des juristes au pays. Il conclut, à la lumière de la loi dans son ensemble, que l'interprétation excluant les juges de la Cour fédérale serait absurde.

Devant autant d'étonnements, donc, on est forcé de se demander ce qui a propulsé le bon juge Nadon au sommet de la pyramide judiciaire.

Ce n'est pas une nomination politique au sens partisan du terme: l'homme a accédé à la magistrature sous les libéraux après une brillante carrière comme avocat.

Sur le plan philosophique, par contre, il n'y a pas de doute qu'il est plutôt du côté de la retenue judiciaire, de la déférence envers le pouvoir de l'exécutif. C'est un conservateur judiciaire. Il remplace un des plus "libéraux" de la Cour, l'ancien criminaliste Morris Fish, ce qui changera la tonalité de l'institution.

Le meilleur exemple de cela est l'affaire Khadr: un premier juge de la Cour fédérale avait ordonné au gouvernement de rapatrier le jeune homme, arrêté à 15 ans sur le champ de bataille en Afghanistan par les Américains. Les enquêteurs canadiens avaient fait des interrogatoires à Guantanamo sachant que Khadr avait été soumis à des traitements inhumains.

En appel, à deux contre un, la Cour fédérale d'appel avait confirmé ce jugement. Le dissident était Marc Nadon.

La Cour suprême a ensuite unanimement confirmé cette dissidence: la Cour ne pouvait pas ordonner le rapatriement d'un citoyen, cela relève de la prérogative du gouvernement.

Nuance importante, toutefois: la Cour suprême estimait elle aussi que les droits de Khadr avaient été violés de manière évidente par les représentants de l'État canadien.

Le juge Nadon, lui, estimait que le Canada avait tout fait pour protéger le jeune combattant terroriste. C'est le seul des 13 juges ayant examiné la cause à avoir conclu ainsi.

Il est trop tôt pour tirer des conclusions définitives et politiques de cette nomination, entérinée par les deux partis d'opposition à Ottawa.

Mais on ne peut oublier les nombreux échecs qu'a subis le gouvernement Harper à la Cour suprême (l'affaire de l'injection supervisée, Khadr, la justice pour adolescents, la commission des valeurs mobilières fédérale). Va-t-on vers une américanisation de la Cour?

Pour l'instant, le milieu est vaguement stupéfait...

Pour joindre notre chroniqueur: yves.boisvert@lapresse.ca