La corruption nous a coûté une fortune. Faut-il en plus qu'on se punisse collectivement?

Le maire temporaire de Montréal, Michael Applebaum, a décidé de jouer les matamores de l'éthique, vendredi. Après des années passées tout près, tout près du pouvoir, il a décrété le grand ménage: toutes les firmes dont un dirigeant a admis des actes de collusion à la commission Charbonneau seront désormais bannies des contrats publics à Montréal pour cinq ans.

Ce qui en apparence est un juste retour des choses est en vérité d'une totale stupidité, en plus d'être injuste. Ceux qui n'ont rien admis, mais qui sont peut-être aussi croches, ou pires, ingénieurs ou avocats, sont exemptés de cette mesure coup-de-poing. Bel incitatif à collaborer!

Louise Harel a bien raison de tourner en ridicule cette décision faussement courageuse.

Reste la question de fond: parce que nos grandes firmes de génie-conseil ont toutes plus ou moins trempé dans la collusion, parfois dans la corruption, faut-il les mettre à terre pour redresser les torts du passé?

C'est une question morale autant qu'économique. Et la réponse aura un impact tant sur nos institutions que sur l'économie québécoise.

Depuis quelques mois déjà, plusieurs dans le milieu bancaire et économique commencent à manifester privément leur inquiétude.

Privément, parce qu'il n'est évidemment pas de bon ton de paraître défendre les maîtres de la corruption. Les banques, d'ailleurs, se dissocient de plusieurs des entreprises qui ont longtemps été leurs chouchous. N'allez pas penser que les entreprises de Tony Accurso avaient mauvaise réputation auprès des créanciers: tout était fait et généralement bien fait, et tout le monde était content. Très content!

Mais ces jours-ci, il est question de firmes comme SNC-Lavalin, Dessau, SM, etc.

Des sociétés de plusieurs milliers de professionnels dont le siège social est dans la région de Montréal et qui pèsent de tout leur poids dans l'économie québécoise - sans parler de politique...

«Il va falloir une commission vérité et réconciliation», me disait un financier récemment.

«Il faudrait une amnistie pour les gestes d'avant 2009», me suggérait un autre.

C'est un peu rapide, messieurs...

Commençons par finir le volet «vérité» avant de parler de réconciliation...

Comment réconcilier? Ou plutôt, comment faire survivre décemment toutes ces firmes qui se sont déshonorées, par la faute de leurs dirigeants?

Ça, c'est leur problème. Que chaque société fasse son ménage.

La loi 1, sur l'intégrité en matière de contrats publics, donne certaines pistes. Chaque entreprise voulant faire affaire avec le gouvernement doit désormais obtenir une «autorisation» de l'Autorité des marchés financiers (AMF). Le processus est jugé déjà lourd et quasi policier. En effet, la loi comporte plusieurs mesures objectives pour bloquer une autorisation: si une entreprise a été condamnée pour fraude fiscale ou pour activité criminelle; ou si un dirigeant a été condamné personnellement.

Mais il existe en plus cette fameuse disposition de «bonne réputation» dont on ne sait pas encore ce qu'elle voudra dire.

L'AMF peut refuser une autorisation si une firme «ne satisfait pas aux exigences élevées d'intégrité auxquelles le public est en droit de s'attendre».

Leur problème, disais-je... En vérité, c'est notre problème à tous. Si d'avance, on bannit toutes ces firmes, que va-t-il arriver? Des sociétés d'ailleurs viendront faire les grands travaux au Québec. D'Ontario. Ou des États-Unis. Ou de France, d'Espagne... Certaines sont bien chanceuses de ne jamais vivre une commission Charbonneau dans leur pays!

En entrevue à Larocque-Lapierre à TVA, Pauline Marois a déclaré qu'«on ne peut pas se permettre de perdre ces grandes firmes».

Elle a raison.

Il faut trouver le moyen de punir les auteurs de la collusion et de la corruption sans, en plus, se punir collectivement. Ça passera sans doute par des réorganisations majeures.

La loi 1, qui force ces sociétés à se «purifier», est un début de solution. Mais les bannissements aveugles comme celui décrété vendredi par ce maire substitut, pour brillants qu'ils soient médiatiquement, nous font payer encore plus - à nous - les crimes de ces gens-là.