Manifester sans se faire arrêter n'est pourtant pas très compliqué. Il faut: 1) dire à la police quelle rue on veut emprunter; 2) ne pas porter de masque.

Il semble, pour certains, que ce sont des limites absolument inacceptables à la liberté d'expression et de réunion pacifique.

Richard Bergeron, candidat à la mairie pour Projet Montréal, a enfourché joyeusement ce cheval fringant. Il veut faire abroger le règlement municipal P6, qui impose ces conditions aux manifestants.

J'ai la vague impression que M. Bergeron s'éloigne lentement, mais sûrement, de la mairie.

N'a-t-il vu que le côté mignon des manifs du printemps dernier? Je me demande s'il a parlé aux commerçants et aux citoyens du centre-ville, pour en mesurer l'écoeurement...

Jean-François Lisée a bien raison de dire que le règlement P6 est un des plus permissifs au monde. En Europe, il faut donner un avis de 3 à 15 jours, selon le pays ou la ville.

La Cour européenne des droits de l'homme a jugé que ce régime de «déclaration préalable» est une limite parfaitement raisonnable à la liberté d'expression et de réunion pacifique.

Dans une affaire hongroise, par contre, on a jugé que cette obligation d'avis préalable empêchait les manifestations spontanées et pouvait donc limiter indûment les droits fondamentaux. Des citoyens de Budapest avaient appris à la dernière minute la participation du premier ministre hongrois à un événement politique et n'avaient pas le temps d'envoyer un avis.

Mais Montréal ne connaît pas ce problème: les manifestants peuvent dévoiler leur itinéraire quelques minutes avant de partir.

Quel est le problème, exactement?

Personne n'a le droit illimité d'occuper la rue pour ses idées. On tolère que l'utilisation normale des espaces publics soit entravée par une manifestation, bien entendu, vu l'importance capitale du droit d'exprimer ses idées en public et en groupe.

Mais encore faut-il le faire dans un minimum d'ordre et d'esprit civique.

La Charte a beau garantir la liberté d'expression, elle «n'abolit pas notre obligation commune de partager l'espace urbain d'une manière équitable», écrit le juge David Brown, de la Cour supérieure de l'Ontario, qui a autorisé le démantèlement des tentes installées dans un parc à l'occasion d'Occupy Toronto, en 2011.

«La Charte ne permet pas aux manifestants de s'emparer de l'espace public sans permission, puis d'empêcher le reste du public d'utiliser cet espace, puis de prétendre n'avoir aucune obligation de le quitter», écrit-il.

Il s'agissait de gens qui campaient dans un parc. Mais les mêmes principes s'appliquent.

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La question des masques est plus délicate. Le règlement interdit d'avoir «le visage couvert sans motif raisonnable».

Le Barreau a formulé de sérieux doutes sur cette disposition: des gens peuvent vouloir conserver l'anonymat (comme ce prof de philo déguisé en panda); d'autres porter le voile pour des motifs religieux; d'autres, enfin, voudraient porter un masque à l'effigie d'un politicien, par exemple.

Plusieurs législations antimasques ont été adoptées aux États-Unis - et contestées.

Une décision importante d'une cour d'appel fédérale a reconnu le droit de manifester anonymement...  mais pas avec un masque. La cour a maintenu le règlement antimasque. La Constitution ne garantit pas des «conditions idéales» pour exercer son droit, et les impératifs de sécurité publique, ici, ont convaincu la cour.

Notons que dans cette affaire, c'est le groupe raciste Ku Klux Klan qui réclamait le droit de défiler avec ses cagoules blanches pointues...

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Soyons pratiques: les masques sont souvent le fait de casseurs qui s'infiltrent dans les manifs, comme les traditionnelles manifs contre la brutalité policière nous le rappellent annuellement. Le masque, alors, ne sert qu'à rendre l'identification policière difficile.

Dans la tentative d'équilibre des droits, que dira le juge ici (car P6 est attaqué en cour)?

Difficile à dire. Peut-être que la règle du Code criminel est suffisante: seul le déguisement dans un but criminel est interdit.

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Les opposants à P6 se plaignent également (ou surtout) de la manière «discrétionnaire» dont les policiers appliquent le règlement. Plus de 250 arrestations le soir de la manif antibrutalité, par exemple.

D'abord, discrétionnaire ne veut pas dire arbitraire. Il est tout à fait correct et même nécessaire que les policiers aient une marge de jugement dans l'application des règlements, dans la mesure où ils sont clairs. Tout le printemps, et l'été, et l'automne, les policiers de Montréal ont laissé aller les manifs illégales.

Elles l'étaient presque toutes. Quand la casse commençait, ils intervenaient.

L'approche a changé, et c'est tant mieux. Le festival éternel de la manif sans parcours doit prendre fin un jour.

Que ce soient les opposants au mariage gai en France, scandalisés de s'être fait interdire les Champs-Élysées le mois dernier, une centrale syndicale, une association étudiante ou le Cercle des fermières, personne n'a le droit absolu de circuler sans avis.

Il n'y a rien de scandaleux là-dedans.

Allez, un petit effort, les amis: donnez votre parcours aux vilains policiers, et marchez en paix...