L'oeil pétillant, le sourire bienveillant et une tête de bon vivant: à première vue, le Dr Charles Bernard annonce une sorte de continuation un peu bonhomme à la tête du Collège des médecins.

Erreur! Ce médecin de famille de Québec débarqué à la tête du puissant ordre professionnel est en train d'opérer une petite révolution des mentalités. Je ne me souviens pas d'avoir entendu un président d'ordre professionnel important parler avec un tel franc-parler du grand tabou: la discipline des professionnels.

Il ne se gêne pas pour critiquer publiquement le travail du bureau du syndic, censé être le gardien de la déontologie des médecins. Et celui du conseil de discipline, qui a trop longtemps approuvé les suggestions complaisantes du syndic.

«De toute évidence, la tolérance zéro en matière d'inconduite sexuelle, ça ne veut pas dire la même chose pour moi et pour le syndic! dit-il.

«Je suis aussi choqué que vous quand je vois des sanctions trop faibles, je suis aussi un patient, un père, un mari. Moi, je suis ici pour protéger le public, pas les docteurs. Ils n'ont pas besoin de moi, les docteurs. Leurs droits sont très bien protégés, ils ont l'ACPM [Association canadienne de protection médicale, qui assure les médecins]. Je ne suis pas ici pour défendre l'indéfendable, et les médecins pourris, je ne veux pas les avoir!»

Je lui parle du cas de l'obstétricien Kenneth Chan, qui a refusé de se rendre au chevet d'une patiente souffrant d'une hémorragie et que le syndic suggérait de radier pour quatre mois. Le Conseil de discipline l'a finalement radié pour un an.

Enverriez-vous votre fille accoucher avec lui, docteur?

Non!

Après le long règne du très protecteur Augustin Roy, puis celui du très conciliant Yves Lamontagne, le discours est franchement inédit.

Le Dr Bernard en a ras le bol du système de discipline. Trop long. Trop clément. Pas proportionnel à la gravité des fautes.

«Ça n'a pas de maudit bon sens! Il faut donner un coup de barre. En attendant, le public est fâché contre le Collège des médecins, et je le comprends, mais on ne contrôle pas le bureau du syndic, ni les décisions du conseil de discipline.»

L'ironie de la situation actuelle est précisément qu'on a créé des bureaux de syndics indépendants pour empêcher les présidents des ordres professionnels, élus par les membres, de s'immiscer dans la discipline. Il fallait une distance entre le syndic, qui fait un travail de police, et l'administration «politique» de l'ordre professionnel, pour éviter la complaisance.

Mais c'est exactement le contraire qui s'est produit: chez les médecins, du moins, le syndic a institutionnalisé une incroyable complaisance avec tous les médecins qui acceptent de reconnaître leur culpabilité. Encore mardi, le syndic recommandait une radiation de trois mois pour un médecin coupable d'inconduite sexuelle - une sanction que le conseil de discipline n'a pas l'air prêt à accepter.

En août dernier, le conseil a rejeté une suggestion de deux mois de radiation pour le Dr Claude Gauthier, dans un dossier lourd d'inconduite sexuelle (il a couché avec plusieurs patientes dépressives et on a trouvé des images de porno juvénile dans son ordinateur). Le conseil a plutôt infligé trois ans.

En Ontario, la norme est de cinq ans. Il est vrai qu'on la contourne de diverses manières, mais chose certaine, la politique est plus sévère. «Deux, trois mois, ce n'est pas une radiation, c'est des vacances!»

Bien sûr, le président du Collège ne peut pas s'immiscer dans des dossiers particuliers. Mais si le ministre de la Justice peut envoyer des directives à ses procureurs pour qu'ils soient plus sévères dans certains cas, le président du Collège peut sûrement en donner à son syndic.

Le cas des conseils de discipline est tout aussi pénible. Les nominations de «présidents» de ces tribunaux déontologiques, des avocats, sont purement politiques et on a vu des incompétents nommés à la présidence de conseils de discipline dans divers ordres professionnels.

Le cas de Diane Larose, dont je parlais la semaine dernière, est proprement scandaleux: son mandat est fini depuis huit mois et elle a accumulé près de 100 (100!) causes en délibéré dans plusieurs ordres professionnels. Certaines traînent depuis trois et même quatre ans.

Quand elle a été nommée par les libéraux, en 2007, le président d'un ordre professionnel l'a appelée pour la féliciter et lui dire qu'il espérait qu'elle serait diligente: il avait eu de gros problèmes de retards avec celle qui occupait le poste auparavant, l'avocate France Bergeron. Malheureusement, Diane Larose a fait pire... et France Bergeron a été nommée l'année suivante juge à la Cour supérieure à Québec!

Heureusement, hier, le ministre de la Justice, Bertrand St-Arnaud, a annoncé une réforme importante du système, entreprise par les libéraux en juin: les présidents des conseils seront sélectionnés au mérite et eux-mêmes soumis à un système de discipline pour s'assurer qu'ils ne fassent pas poireauter tout le monde.

Dans presque tous les ordres professionnels, on applaudit. Le Dr Bernard n'est pas le seul à attendre qu'on modernise ce système inefficace.

Le Dr Bernard espère plus: chez les médecins, les délais avant la décision sont importants, notamment parce que les honoraires d'avocats des médecins fautifs sont entièrement assumés par l'ACPM. Il a d'ailleurs convoqué les avocats de McCarthy Tétrault pour leur exprimer son mécontentement. Qui plus est, un appel de la condamnation suspend la radiation (sauf en cas d'inconduite sexuelle).

Non, vraiment, il est temps de changer de siècle, nous dit le Dr Bernard.

Pour joindre notre chroniqueur: y.boisvert@lapresse.ca