En apparence, les juges se sont divisés selon le sexe: les femmes d'un bord, les hommes (plutôt) de l'autre.

En vérité, dans cette affaire Lola, c'est la conception même du rôle des juges qui était en jeu. Et à la majorité, la Cour suprême a conclu que de redessiner le régime conjugal des couples non mariés revient à l'Assemblée nationale, pas aux juges.

Bonne décision. On ne marie pas sans le leur demander un million de personnes. Ce n'est ni poli ni juridiquement prometteur.

Lola nous disait qu'elle aurait bien voulu se marier, mais qu'Éric ne voulait pas. Autrement dit, bien de ces unions «libres» ne le sont pas vraiment. Du moins, le choix juridique n'est pas toujours éclairé et mutuel.

Sans doute, réplique le juge Louis LeBel, mais c'est vrai aussi des mariages. Combien cèdent à la pression, sociale ou affective?

C'est ici qu'apparaît l'autre ligne de démarcation dans ce jugement: l'autonomie individuelle. Jusqu'où l'État est-il forcé de protéger les gens contre eux-mêmes et contre les autres?

Le Québec peut le faire, bien sûr, comme toutes les autres provinces canadiennes. Mais permettre à des adultes consentants de choisir un type d'union juridiquement différent n'est pas pour autant «discriminatoire».

L'égalité de tous les citoyens devant la loi n'oblige pas l'État à traiter tous les conjoints de la même manière, qu'ils le veuillent ou non.

Dans la mesure où ces différences de traitement ne sont pas arbitraires, ou fondées sur des préjugés, il n'y a rien d'inconstitutionnel.

Il est vrai qu'historiquement, les couples non mariés ont fait l'objet d'un mépris social. Jusqu'en 1980, le Code civil parlait de «concubins», et il était clair qu'on les considérait jadis comme une menace à l'ordre social et à la famille.

Mais tel n'est plus le cas: c'est en toute connaissance de cause qu'on a laissé en place un régime distinct du reste du Canada au moment de réformer le droit de la famille du Québec. Les déclarations des ministres de la Justice et de la Condition féminine de l'époque laissent voir non pas des préjugés à l'égard des «conjoints de fait», mais plutôt un choix politique et social: parier sur l'autonomie des citoyens, les laisser décider ce qui leur convient le mieux comme «contrat».

Le juge LeBel note par ailleurs que dans les cas extrêmes d'enrichissement injustifié d'un conjoint non marié, par exemple parce que l'autre aurait tout sacrifié en faveur de son entreprise, un recours est possible.

Ce n'est pas parfait et des injustices peuvent résulter de bien des situations conjugales. Mais ce sera au législateur, pas aux juges, «d'intervenir s'il considère que les conséquences de ces choix autonomes engendrent des difficultés sociales auxquelles il importe de remédier», écrit le juge LeBel.

La juge en chef Beverley McLachlin a été des cinq juges qui ont estimé que le régime des conjoints de fait est discriminatoire. Mais elle s'est néanmoins rangée avec la majorité en concluant que cette atteinte à l'égalité est acceptable dans une société démocratique.

Ce vote fait donc pencher la Cour de justesse contre la position de Lola (cinq contre quatre, les quatre autres étant d'avis que Québec devrait obligatoirement créer une obligation alimentaire entre conjoints).

La juge en chef insiste elle aussi sur «la nécessité de laisser au législateur une certaine latitude quant aux questions sociales difficiles à trancher».

On notera qu'elle effleure avec une certaine habileté politique un autre sous-thème de cette affaire socialement explosive: l'autonomie du droit québécois. Il faut être «sensible à la responsabilité qui incombe à chaque province, en vertu de la Constitution, de légiférer pour sa propre population».

Pour finir, si la conclusion de l'affaire est limpide, le chemin pour y parvenir a été compliqué en Cour suprême. Dans cette cour menée par une juge en chef rassembleuse et manifestement habile à créer des consensus même sur les sujets les plus délicats, on observe cette fois une division comme on n'en a plus l'habitude. Un jugement qui se subdivise en quatre parties... Où deux blocs de quatre juges s'affrontent, avec la juge en chef en plein milieu, qui penche à la fin du côté de la validité.

Le feuilleton de Lola est fini pour sa partie judiciaire, mais le débat n'a pas encore eu lieu vraiment.

Il y a certainement lieu de se demander si la protection des familles est adéquate dans le régime actuel, étant donné que 60% des enfants québécois naissent hors mariage.

Si, en plus de déniaiser juridiquement des milliers de conjoints ignorants de leurs droits, cette affaire donne lieu à cette remise en question, Lola nous aura rendu service.