John Gomery a pris sa retraite de la magistrature, mais pas de l'indignation.

Le «producteur agricole», qui élève une vingtaine de bêtes, nous a reçus hier dans sa maison de ferme, entre une vente de veau et une séance de la commission Charbonneau.

«Je suis choqué, je suis horrifié même... Mais surpris? Non!»

L'ancien président de la commission d'enquête sur le programme de commandites (2004-2005) a fait de la politique pour la première fois de sa vie en 2009, pour combattre l'administration de Gérald Tremblay - il était impliqué avec le parti Projet Montréal de Richard Bergeron.

Déjà, «la fumée» et les odeurs de scandale recouvraient l'hôtel de ville. Il avoue toutefois que l'ampleur de la corruption révélée jusqu'ici est «au-delà de [ses] expectatives».

Dans toute entreprise, dit-il, quand une dérive malhonnête est constatée, «il faut blâmer le patron».

Si Gérald Tremblay n'était pas au courant, il était «tellement incompétent» ! «Il a la responsabilité de poser des questions et d'agir quand des indices sautent aux yeux. D'après les témoins, tout le monde le savait. Tout le monde sauf le maire?»

Plus tard dans l'entrevue, il qualifie d'inexcusable l'aveuglement de Gérald Tremblay. «Je ne l'accuse de rien, mais même en droit criminel, on peut être déclaré coupable d'un crime par omission, par aveuglement volontaire.»

Le système dépasse les détournements de fonds et le gonflement des prix. Il a un effet pervers profond sur les travaux eux-mêmes.

«Ça explique l'état pitoyable de nos infrastructures», dit-il. Si un entrepreneur est assuré d'avoir un contrat, quel incitatif a-t-il à faire le meilleur travail possible?

«Ce qui lui assure un contrat, ce n'est pas la qualité de son travail, c'est les pots-de-vin.»

On nous a dit que la mauvaise qualité des routes était attribuable au climat. «Ce n'est pas vrai! Chaque fois que vous traversez la frontière [il vit à 5 km des États-Unis], dans n'importe quelle direction, vous vous en rendez compte: on a les pires routes!»

L'ancien juge s'exaspère quand il entend certains politiciens dire qu'il n'y a «pas de preuves», que ce ne sont que des «allégations».

«Un témoignage, c'est une preuve! Il peut être plus ou moins solide, contredit, démoli, mais c'est une preuve. Dans la commission, j'ai eu à analyser le témoignage de M. [Chuck] Guité. C'était un témoin peu fiable, de mauvaise réputation, mais ça ne veut pas dire que tout ce qu'il disait était faux. On a pu en corroborer des bouts.

«Dans un complot de fraude, les comploteurs ne rédigent pas un document pour attester leur complot! Il faut nécessairement se fier au témoignage de quelqu'un ayant trahi la confiance des conspirateurs.»

Ainsi, Jean Brault a joué ce rôle dans sa commission. «Pendant l'audition des témoignages, je ne voulais pas être informé du contenu de la preuve que les procureurs allaient présenter. Bernard Roy [procureur-chef] m'a simplement dit un jour: «Vous allez enfin entendre un meilleur témoin demain».»

Après le très clownesque Jean Lafleur, Brault avait décidé de dire comment l'argent détourné frauduleusement du programme des commandites servait à financer le Parti libéral du Canada.

Le financement des partis... On y revient à nouveau. Il ne voit pas d'autre solution qu'un financement public (en fonction des votes) et... moins de dépenses. «Toute cette publicité télévisée n'ajoute rien à la compréhension des enjeux, en plus d'être généralement ennuyante.»

«Mais les failles les plus importantes ne sont pas dans la loi, elles sont dans la moralité des gens chargés des administrations publiques.»

Il estime que le trop grand nombre d'élus à Montréal «dilue» la responsabilité de chacun. «Je les blâme tous, en fait, ce qu'on voit inspire des reproches à tout le monde, y compris les citoyens, qui se désintéressent de la politique ou qui réélisent un maire quand on sait que la corruption est installée.»

Quant à la commission Charbonneau, il trouve qu'elle est «impeccable» jusqu'à maintenant et qu'elle a largement prouvé son utilité.

Seule inquiétude: l'absence prolongée du commissaire Roderick Macdonald, en congé de maladie depuis le début des audiences.

«N'oubliez pas que bien des gens voudront attaquer cette commission par tous les moyens, et en chercheront les faiblesses. Ils pourraient tenter de convaincre un juge qu'un commissaire partiellement absent ne peut signer le rapport, par exemple.»

Je quitte le gentleman farmer au début de l'après-midi. La poignée de main est aussi résolue que le propos. John Gomery est resté le même défenseur viscéral de la moralité publique.

«Ici, au village, les conseillers surveillent où va chaque pièce de 5 cents! Ça devrait être comme ça partout.»

Les feuilles volent dans le ciel d'automne et ça sent le changement de saison.